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l’homme et la terre. — les communes

du côté de la terre et du côté de la mer ? A l’ouest, les lits de vase molle où se seraient enlizées des armées hostiles ; à l’est, un cordon littoral et de sinueuses passes où nulle flotte ennemie n’eût osé s’aventurer. Pour bloquer la ville, l’adversaire aurait dû commander à la fois sur terre et sur mer.

Cette parfaite sécurité de Venise la rendit d’autant plus à craindre pour l’attaque, car les marins des lagunes avaient le choix du lieu de débarquement sur les divers points de la côte intérieure et celui de la porte de sortie vers la haute mer. Considérée sous l’aspect spécialement géographique, cette ville avait l’avantage d’être près de l’issue du Pô, le grand fleuve de l’Italie septentrionale, et de plusieurs autres rivières, Adige, Brenta, Piave, Livenza, Taglamiento, dont les vallées lui ouvraient autant de chemins naturels vers les Alpes : la région de campagnes qui s’incline vers les lagunes est d’une fécondité rare, due à l’excédent des eaux qui la parcourent, et, de toute antiquité, des routes faciles la traversent dans tous les sens.

Au point de vue mondial, Venise n’était pas moins heureusement située : grâce à la forme très allongée du golfe Adriatique, elle se trouve à la fois sur le bord de la mer et projetée à un millier de kilomètres dans l’intérieur du continent : par les longues étendues d’eau qui la rattachent à la mer Ionienne, elle appartient déjà au monde méditerranéen de l’Orient, tandis que par le voisinage des Alpes dont les cimes bleues découpent le ciel à l’horizon du nord, elle se trouve presque au pied des chemins de montagnes qui la mettent en communication avec l’Allemagne centrale, avec le triple versant de la mer Noire, de la mer Baltique et de la mer de Hollande. Tous ces avantages assurèrent d’autant mieux la suprématie commerciale à Venise qu’il n’y a point de havre naturel dans toute cette région des embouchures fluviales ; pour trouver un point sûr, il fallait suivre le développement curviligne de la côte jusqu’au crochet d’Ancône. Les bouches du Pô, faisant une large saillie dans les eaux de l’Adriatique, à une faible distance au sud des lagunes de Venise, sont trop changeantes, trop encombrées de boues pour que les marins aient pu essayer de les prendre pour chemin d’accès vers les cités de l’intérieur, dès que la batellerie primitive fut remplacée par de véritables navires tirant quelques pieds d’eau.

L’Adriatique était réellement l’ « épousée » de Venise, et, lorsque de la poupe du Bucentaure, le doge jetait son anneau de mariage