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l’homme et la terre. — réforme et compagnie de jésus

uns dans l’ordre spirituel pour fournir à la communauté de futurs professeurs, des dictateurs ou confesseurs, suivant leurs aptitudes présumées et surtout suivant le jugement des supérieurs, les autres dans l’ordre séculier, comme serviteurs, cuisiniers, manœuvres, intendants, quelquefois même sans l’autorisation d’apprendre à lire et à écrire. D’ailleurs les uns et les autres avaient été également assouplis à l’obéissance parfaite, « comme le bâton dans la main du maître », « comme la carcasse sous le pied du passant », et cette obéissance, on ne l’exigeait pas d’eux seulement dans les choses d’apparence légitime ou naturelle, mais aussi bien dans les cas qui semblaient contraires au sentiment, à la justice, à la morale : ce que le maître commande, c’est-à-dire le pape, c’est-à-dire Dieu, voilà ce qui est normal, juste et bon. Leurs mouvements mêmes étaient réglés : la tête du jésuite devait se pencher légèrement dans l’attitude convenue de l’humilité, et les yeux ne devaient pas regarder dans les yeux de l’interlocuteur.

On s’étonne qu’un ordre religieux composé d’un petit nombre d’associés — car à la mort de Loyola, en 1556, la compagnie ne comprenait guère plus d’un millier de membres — ait pu acquérir une si grande et durable influence sur le gouvernement du monde ; c’est que nulle société ne présente plus de cohésion et en même temps plus de diversité dans sa texture si parfaitement solide et d’une si merveilleuse souplesse. Pour toutes les conjonctures, faciles ou difficiles, elle avait les hommes qu’il lui fallait, en bas des sicaires prêts à toute obéissance périlleuse, en haut des hommes d’État qui rédigeaient des traités, préparaient les mariages princiers, décidaient de la paix ou de la guerre, puis, entre le général et le dernier des coadjuteurs illettrés, toute la série des instruments humains, adroits à se servir, suivant les circonstances, des passions, des volontés ou des vices de leurs contemporains.

Dès la constitution de leur société, les jésuites avaient compris le rôle qui est resté le leur, celui d’incarner l’éducation cléricale. Des 1542, ils avaient fondé le collège de Saragosse, qui bientôt eut jusqu’à vingt-cinq filiales. Tous les pays catholiques reçoivent ainsi leurs établissements d’éducation jésuitique dès le milieu du seizième siècle. L’université d’Ingolstadt, en Bavière, devient leur centre de propagande, puis ils s’emparent de l’université de Prague avec ses énormes revenus et tous ses privilèges ; ils obtiennent de l’empereur un ordre instituant le recteur de