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l’homme et la terre. — colonies

Voilà les faits nettement établis, mais en outre, les migrations volontaires ou involontaires de Tchuktchi et d’Eskimaux, de Japonais et de Polynésiens ont été trop nombreuses pendant la période des quatre cents dernières années, soit à travers le détroit de Bering, soit par les chemins tempétueux de la mer, pour que l’on puisse émettre le moindre doute au sujet d’anciens voyages accomplis par des Asiatiques vers les rives du Nouveau Monde, ou par des indigènes américains vers l’Asie centrale : un père jésuite, visitant la Tartarie au seizième siècle, rencontra une femme Huron qui avait été vendue de tribu en tribu et avait parcouru près de la moitié de la circonférence terrestre[1]. Des industries diverses, tissage d’étoffes, cuisson des argiles, fabrication du bronze, peuvent avoir été ainsi introduites dans les terres du double continent.

Il est très naturel d’admettre qu’il y eut des échanges de procédés et d’idées, puisque la mer et les vents, même indépendamment de la volonté des individus, mirent souvent en relations directes les représentants de races diverses. Un jeu compliqué, devenu le tric trac des Européens, fournit une preuve des relations entre l’Asie et l’Amérique : on le retrouve sous des formes très similaires chez les Hindous et les Birmans, qui le nomment Patchiti ou Patchit, et chez les anciens Mexicains, qui le connaissaient sous le nom de Patolli[2]. Le naturaliste Ten Kate croit avoir trouvé un témoignage de ces anciennes relations à la pointe méridionale de la péninsule californienne, où vivraient encore des négroïdes mélanésiens[3]. En outre, un fait très important comme indice de parenté des races a été récemment découvert. On a constaté l’existence de taches pigmentaires bleuâtres dans la région sacro-lombaire des nouveau-nés de la plupart des nations malaises et sino-japonaises qui peuplent le pourtour de l’océan Pacifique, et ces mêmes taches se retrouvent chez les enfants eskimaux, jusque dans le Groenland, Comment, pense-t-on, ne pas voir en ce trait commun une preuve de parenté[4] ?

Les étendues immenses du Pacifique, séparant les côtes de l’Amérique méridionale et celles des grandes terres océaniennes, ont dû empêcher toute communication active pendant la période géologique contemporaine ; mais, sans remonter jusqu’aux âges qui donnèrent à l’Argentine

  1. Charlevoix.
  2. E. B. Tylor, cité par Karl Gross, Die Spiele der Menschen, p. 243.
  3. Bulletin de la Société d’Anthropologie de Paris, t. VII, p. 564.
  4. J. Deniker, Bulletin de la Société d’Anthropologie, séance du 4 avril 1902.