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l’homme et la terre. — colonies

forment un ensemble prodigieux de huacas, nom sous lequel on désigne indistinctement toute construction antique, nécropole, palais, forteresse entrepôt, aqueduc ou demeure. Une de ces huacas fournit, en 1577 et 1578, des objets sculptés en or pour une valeur totale de 4 450 784 pesos d’argent[1] (20 à 30 millions de francs ?). Et ce n’est là qu’une faible partie des trésors recueillis dans ces catacombes.

Quant aux routes, celles qui partaient du centre politique de l’empire étaient construites avec autant de soin que celles des Maya, et l’ensemble du réseau, comprenant la ligne du littoral et celle de la montagne avec tous les rameaux intermédiaires, n’avait pas son pareil dans le monde ; celui des anciens Romains ne l’égalait ni en étendue ni en audace et ne dura pas aussi longtemps ; même sur le versant des grandes forêts, on voit çà et là les routes dallées descendre vers les fleuves amazoniens : il en existe en pleine selve sur les bords du Béni, le grand affluent du Madeira. Les missionnaires franciscains établis au poste d’Ysiama, près de la bouche du Madidi, ont suivi cette ancienne chaussée, dite des Inca[2], quoiqu’elle appartienne peut-être à des temps plus anciens, comme une autre route, également nommée des Inca, qui franchissait la Cumbre, la brèche des Andes que doit utiliser un jour le chemin de fer de Buenos-Ayres à Valparaiso.

Les métiers de l’âge incasique n’étaient inférieurs à ceux d’aucune autre nation du Nouveau Monde. Ce peuple était même le seul qui avait su apprivoiser un animal de manière à l’utiliser au point de vue économique. Le lama était devenu le compagnon de l’indigène comme bête de somme pour le transport des denrées et des marchandises ; le compagnon, car jamais on ne le frappait, jamais on ne le forçait à hâter le pas : on le suivait en l’encourageant par de bonnes paroles, des gazouillis et des chants. Si les Inca n’étaient pas encore arrivés à l’invention de l’écriture proprement dite, ce qu’affirment des auteurs contemporains et ce que d’autres nient, du moins savaient-ils transmettre leurs idées et raconter les événements au moyen de quippu ou cordelettes en laine, de diverses longueurs et diversement nouées, qui présentaient d’infinies combinaisons. La belle langue souple des Quichua, qui se parle encore dans presque toutes les régions andines, de l’Ecuador aux frontières de l’Argentine et du Chili, et qui, dans la lutte pour l’existence, l’a même

  1. Edwin, R. Heath. Antiguedades peruanas, Bol. de la Soc. géogr. de la Paz, Bolivia, 1904.
  2. George Earl Church, Géogr. Journ. Aug. 1901, p. 150.