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l’homme et la terre. — colonies

de Bradore, le campement de Brest hébergeait, au moment de la pêche, jusqu’à trois mille individus. Et pourtant, c’est en 1535 seulement que Jacques Cartier, de Saint-Malo, poussa plus avant que les terres de l’entrée laurentine et reconnut le caractère fluvial des eaux qui proviennent de l’intérieur du continent. Il pénétra jusqu’à l’étranglement principal du lit, à l’endroit où la rivière dite actuellement de Saint-Charles se déverse dans le Saint-Laurent et où se dresse le promontoire superbe qui resserre le lit du fleuve jusqu’au détroit du cap Rouge. Ce rocher, qui domine le confluent et porte la cité pittoresque de Québec, l’une des métropoles du Nouveau Monde, n’avait alors d’autre village qu’une agglomération de huttes, un canada, mot d’après lequel est désigné maintenant tout le territoire de la « Puissance ».

Le campement de Cartier et d’autres qui se fondèrent plus tard, dans le courant du seizième siècle, furent abandonnés par les colons et rasés par les sauvages, et, d’ailleurs, le peuplement de la contrée par des émigrants venus de France et d’autres lieux était presqu’impossible, ces longues étendues de côtes et tout l’arrière pays ayant été donnés en monopole à des personnages bien en cour qui n’étaient pas assez riches pour faire exploiter le sol, mais qui voulaient interdire à tous autres d’y faire commerce ou profit. Tandis que la péninsule d’Acadie, la future Nova-Scotia ou Nouvelle Écosse appartenait à M. de Poutraincourt, une dame, Mlle de Guercheville, était censée la propriétaire de toute la Nouvelle France, à l’ouest de la péninsule d’Acadie, et les agents de la concessionnaire étaient autorisés par le roi à pourchasser tous les étrangers ou Français qu’ils rencontreraient « dans la rivière plus haut que l’endroit de Gaspé » ; au delà « tout trafic et commerce » restaient interdits à « tout capitaine, pilote, marinier et autres de la mer océane »[1].

C’est ainsi que la colonisation fut retardée et même complètement empêchée pendant un siècle. Partout la foule des pêcheurs dut se contenter d’abris temporaires. Des colons ne purent officiellement prendre possession du sol et y fonder des établissements permanents qu’au commencement du dix-septième siècle, en 1604, à Port-Royal de l’Acadie — maintenant Annapolis — et en 1608, à Québec, c’est-à-dire au « Détroit », au-dessus du large port que forme la rivière Saint-Charles à son confluent. Mais les quelques immigrants amenés au Canada par

  1. Benjamin Suite, Histoire des Canadiens français.