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l’homme et la terre. — colonies

line du Sud ; mais ces hommes de guerre, placés dans un nouveau milieu, n’eurent pas l’intelligence assez preste pour s’y accommoder, et s’enfuirent à travers les périls de mer pour éviter les périls de terre. Deux années après, deuxième débarquement de huguenots, cette fois plus au sud, dans un îlot du fleuve floridien dit aujourd’hui le Saint-John. Mais la rumeur de leur arrivée se propagea au loin chez les Indiens, et les Espagnols des Antilles avertis de la présence de ces Européens, doublement ennemis comme Français et comme hérétiques, vinrent fonder dans le voisinage le port de San-Augustin, qui existe encore, et surprirent le fortin des huguenots pour en massacrer les habitants. Trois ans plus tard, en 1568, les meurtriers espagnols furent tués à leur tour par un groupe de vengeurs, venus spécialement de Bordeaux avec Dominique de Gourgues pour saisir et pendre les défenseurs de San-Augustin, « non comme Espagnols mais comme traîtres».

C’est au dix-septième siècle seulement que les Anglais prirent enfin pied sur le territoire habité maintenant par quatre-vingt millions d’individus parlant leur langue et désignés dans la conversation courante, quoique sans vérité, comme autant d’Anglo-Saxons. Il est vrai que, depuis 1584, Elisabeth avait officiellement concédé les côtes atlantiques situées entre les « Terres neuves et la Floride » à son favori Walter Raleigh ; toutefois celui-ci n’avait fait que de vaines tentatives pour utiliser cette vice-royauté de la « Virginie », qu’il avait ainsi dénommée en l’honneur de la reine Vierge. La première colonie destinée à durer quelque peu ne fut établie qu’en 1607, sous le règne du successeur d’Elisabeth, James, dont elle prit le nom. Encore cette Jamestown, dont il reste a peine quelques vestiges, était-elle si peu favorablement située en un îlot malsain, entouré de vasières et de marais, qu’il fallut aussi l’abandonner pour aller plus loin, sur les côtes mieux égouttées de l’intérieur, labourer des terres moins insalubres. Sans doute, cette partie du littoral américain eût été encore une fois délaissée si la culture du tabac, pratiquée par les Espagnols dans les Antilles, n’avait été introduite en Virginie, apportant soudain un grand élément de richesse dans le commerce de l’Angleterre.

Mais, en imitant les Espagnols comme planteurs de tabac, les Anglais les imitèrent également comme exploiteurs de la main d’œuvre. Sous ce climat tempéré, il leur eût été facile de labourer eux-mêmes, ils préférèrent employer des compatriotes en les « engageant » en esclavage tempo-