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l’homme et la terre. — colonies

les vendaient tant par tête aux planteurs. On achetait également des femmes, soit pour les colons propriétaires, soit pour les « engagés », au prix moyen de 1 200 à 1 500 livres de tabac. Le gouvernement anglais favorisait ce commerce en livrant aux traitants des prisonniers politiques ou autres, qui servirent à constituer peu à peu, à mesure qu’ils étaient affranchis, le gros de la population libre de la Virginie. Quelques noirs, destinés à rester esclaves leur vie durant, « grâce à une heureuse disposition de la Providence », furent débarqués aussi sur les marchés de la côte dès l’année 1620, mais ils n’étaient pas d’importation anglaise, on les avait acquis des traitants hollandais. Aussitôt après, les marins anglais s’empressèrent de monopoliser le trafic des noirs avec les colons, leurs compatriotes d’outre-mer. Avant cette époque, le corsaire Hawkins, qu’avait commandité la reine Elisabeth, et ses élèves négriers n’avaient volé de nègres sur les côtes de Guinée que pour en fournir les colonies espagnoles.

En cette même année 1620, ou commença l’esclavage des noirs dans les plantations de la contrée qui devint la république des Etats-Unis, s’accomplissait dans l’histoire de la colonisation un autre événement d’importance ethnique et sociale non moins considérable. Une centaine d’émigrants, que la persécution religieuse avait forcés de quitter l’Angleterre et qui s’étaient d’abord réfugiés en Hollande, avaient pris la résolution de fuir dans le Nouveau Monde et de s’y établir sur les bords du Hudson dont leur avait parlé quelque voyageur ; mais, navigateurs inhabiles, ils n’avaient pas su trouver le lieu cherché, là où, trois années après, des Flamands devaient fonder la colonie de Manhadocs, la future New-York, et le hasard les avait menés beaucoup plus au nord, sur le rocher de New-Plymouth, à l’entrée de la grande baie dont Boston occupe maintenant l’extrémité occidentale. Ce fut la première des colonies de la Nouvelle Angleterre qui se distingua, parmi toutes celles du Nouveau Monde, par l’homogénéité de la race et par la rigueur des observances religieuses. Les millions d’hommes qui, par la descendance directe, appartiennent plus ou moins à cette race des « Puritains d’Amérique » ont singulièrement exagéré la valeur morale de cet élément ancestral et lui ont donné le rôle prépondérant parmi tous les immigrants dont la postérité fonda la république des Etats-Unis, cent cinquante ans après le débarquement des « pèlerins ». Sans doute, ces hommes, âprement convaincus d’être possesseurs de l’éternelle vérité