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Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome IV, Librairie universelle, 1905.djvu/568

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l’homme et la terre. — le dix-huitième siècle

lesquels les chances de héritage flottaient encore incertaines. Mais, si désabusé que l’on fût sur l’homme dont la grandeur avait naguère paru surnaturelle, le principe de la royauté dans son essence ne se trouvait entamé en rien : la superstition de la monarchie absolue était si bien entrée dans les esprits que même les novateurs, les génies à la pensée la plus libre ne s’imaginaient d’amélioration possible que par la concentration de tous les pouvoirs entre les mains d’un bon tyran, d’un prince affable et doux, devenu omniscient par les soins d’un précepteur parfait, d’un philosophe vertueux comme ils l’étaient eux-mêmes : il leur fallait un duc de Bourgogne, élevé par un Fénelon, un « Télémaque » se rappelant les leçons d’un « Mentor ». Nul ne comprenait que la liberté appartient seulement à ceux qui la conquièrent ; on s’imaginait volontiers que la belle éducation d’un prince aurait pour conséquence heureuse l’éducation du peuple même aux destinées duquel il présiderait.

Heureusement pour la renommée du duc de Bourgogne, ce prince dévot, indécis, incapable, grand approbateur de la Saint Barthélémy et de la révocation de l’édit de Nantes, mourut à temps pour qu’on n’ait pu choisir précisément son exemple et montrer comment l’éducation la plus attentive et la plus savante porte toujours à faux quand elle a pour point d’appui l’orgueil de la naissance et du pouvoir. D’ailleurs, si Louis XV manqua de véritables éducateurs ou plutôt n’eut guère autour de lui que des incitateurs à la perversité, on ne lui demandait qu’une seule chose, de ne point mourir : ses peuples, qui voyaient en lui un « enfant du miracle » échappé au naufrage de la famille entière, eussent tout donné pour garder cette précieuse vie ; c’est de tout cœur qu’ils se précipitèrent au-devant de lui en un flot enthousiaste et qu’ils le proclamèrent le « Bien Aimé » lorsqu’à la suite d’une maladie grave il voulut bien renaître à la vie. Les dures expériences déjà faites ne suffisaient point à cette multitude d’asservis qui, sans confiance en elle-même, attendait tout de ses maîtres.

Un intervalle de quelques années sépara les deux règnes de Louis XIV et de son arrière-petit fils, et presque tout cette période fut occupée par la régence de Philippe d’Orléans, qui, du moins, aura dans l’histoire le mérite exceptionnel d’avoir laissé faire, quoique n’ayant rien fait lui-même : on peut lui reconnaître aussi la qualité d’avoir été curieux des choses de l’industrie, de l’art et de la pensée. S’il n’eut été régent, il eût été bon homme, bien différent de son pupille qui fut l’égoïste par