Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome IV, Librairie universelle, 1905.djvu/570

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
538
l’homme et la terre. — le dix-huitième siècle

lateurs vers la fin de la Régence, témoigner de l’audace de cette bourgeoisie naissante. Industriels et commerçants se dégagent si bien de l’État qu’ils n’ont plus besoin de sa tutelle et même le subordonnent à leurs agissements. Ce sont eux qui entreprennent la colonisation, dirigent le commerce et la banque, se substituent au gouvernement pour la gérance du budget et le paiement des dettes. Law ne fut en cette occasion que le représentant, le paladin de la bourgeoisie qui se lançait dans sa première folie de jeunesse avec une sorte de frénésie, entraînant naturellement à sa suite de tardifs repentirs.

Law avait eu un prédécesseur en ces grandes affaires d’extension coloniale, dans cet appel au crédit, c’est-à-dire à l’utilisation présente de revenus futurs, assurés par la culture du sol et le développement des échanges. Un des compatriotes du banquier écossais, le général Patterson, qui avait fondé à Édimbourg un établissement financier dont la prospérité n’a cessé de grandir pendant les deux siècles écoulés depuis lors, avait suffisamment étudié la carte du Nouveau Monde pour comprendre l’importance géographique de premier ordre que présente la péninsule de jonction entre les deux Amériques : pressentant le futur canal des deux océans, il avait cru nettement que le possesseur de l’isthme aurait entre les mains la « clef du monde » et s’était empressé de prendre les devants dans l’espérance prématurée de pouvoir, sinon réaliser, du moins préparer l’œuvre des générations suivantes. À la tête d’un petit groupe d’Écossais, Patterson campa en 1698 sur le bord d’une crique peu éloignée du golfe d’Uralà, près des sentiers que suivaient les Indiens Cuna pour traverser l’isthme et gagner le golfe de San Miguel sur le Pacifique. Il se trouvait là sur territoire considéré comme domaine espagnol par les traités internationaux et sa position n’eût été tenable que si la Grande Bretagne, aussi ambitieuse que lui, l’avait soutenu résolument par l’envoi d’une flotte et par la construction d’une route. Mais on n’osa point à cette époque se lancer dans la grande aventure, et, en l’an 1700, des navires espagnols vinrent détruire ce qui restait de Puerto-Escoces ou Port-Écossais.

Les projets de Law avaient une bien plus large base géographique et s’appliquaient d’ailleurs à un territoire appartenant à la France par le droit de découverte et même de colonisation commençante : en 1717, lorsque se fonda la « compagnie d’Occident », sept cents Français, cultivateurs ou chasseurs de « pelus », s’étaient établis sur les bords du