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l’homme et la terre. — le dix-huitième siècle

malgré la trêve apparente entre les puissances d’Europe et les compagnies respectives ; elle se continua par l’intermédiaire des alliés et des vassaux hindous. Dupleix, le gouverneur de Pondicherry, génie extraordinaire dans la connaissance et le maniement des hommes, entreprit de gouverner tout le sud de la Péninsule sous le nom des princes indigènes, qu’il savait opposer les uns aux autres et dont il utilisait toutes les faiblesses. Marié lui-même à une femme hindoue, il était considéré par les radjahs comme un des leurs et reçut le titre de nabab « protecteur ou dominateur » de toutes les contrées situées au sud de la Kistna. En peu d’années, l’humble compagnie de marchands, qui s’était d’abord gérée presque en suppliante auprès des riches souverains hindous, se trouvait maîtresse, directement ou indirectement, de toute la région dravidienne de l’Inde. Mais il y avait un moyen de vaincre Dupleix, l’artisan de toutes ces conquêtes, c’était de le faire rappeler par la cour de Versailles : en ce centre de machinations, de perfidies et de bassesses, où les affaires de l’Inde lointaine n’intéressaient personne, Dupleix ne trouva point d’homme qui pût comprendre ses vastes projets ; il fut abandonné de tous et peu après mourut obscurément. Il partageait le sort de Labourdonnais, le vainqueur de Madras, envers lequel il avait eu personnellement des torts et qui eut également à souffrir de la disgrâce et de la misère. Le traité de 1763 remettait les choses en l’état qui avait précédé la guerre, c’est-à-dire que la France perdait tout son empire colonial de l’Inde, gardant seulement quelques comptoirs, menacés par le canon des Anglais.

Cependant ceux-ci avaient réalisé dans le nord de l’Inde une œuvre de conquête analogue à celle qui avait été accomplie, temporairement, par Dupleix dans le sud de la Péninsule. Clive, jeune favori de la guerre, eut autant de bonheur que d’audace. Dans la bataille de Plassey, qui fut livrée en 1757 sur les bords de la Baghirati Ganga, en des campagnes maintenant emportées par le fleuve, Clive ne réussit pas seulement à dégager la ville de Calcutta, mais il remporta aussi une victoire décisive qui fit de la compagnie la puissance dominante dans le Bengale. Le butin qu’il avait conquis, représentant une valeur de 50 millions, l’encourageait à pousser plus avant, à se mesurer avec le Grand Mongol dont les palais étaient plus riches encore. La bataille de Bagsar (1764) établit définitivement la puissance britannique représentée par la compagnie « Nous sommes les maîtres de l’Aoudh, écrivait Clive, et