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l’homme et la terre. — le dix-huitième siècle

fort Duquesne que les Français avaient élevé au point vital où se réunissent les deux rivières maîtresses de l’Ohio, l’Allegheny et la Monongahela. Ce fortin, remplacé actuellement par la populeuse et puissante ville de Pittsburg, témoigne de la sûreté de coup d’œil qui avait indiqué ce lieu de défense, mais il eût fallu que la petite garnison de la place s’appuyât sur une population d’immigrants : elle restait dans le vide, pour ainsi dire, et en 1768, après avoir subi de nombreux assauts, elle dut se retirer sous la double poussée civile et militaire des Anglais ; même la déclaration de guerre eût été inutile, accroissement rapide de la population qui se faisait sous pavillon britannique eût suffi pour noyer les îlots presque imperceptibles de provenance française parsemés à de grandes distances sur le versant du Mississippi. Si ces petits groupes n’avaient représenté symboliquement la nation ennemie qui, pendant des siècles, avait soutenu contre leurs aïeux une lutte héréditaire, les Anglais eussent pu les considérer comme une quantité négligeable.

Mais il y avait les Indiens. Les colons français du Saint-Laurent et du lac Champlain, quoique très peu nombreux en comparaison des Anglais du littoral atlantique, étaient cependant assez fortement établis dans ces régions de l’arrière-pays pour empêcher l’extension et l’immigration britannique dans la direction du nord et du nord-ouest ; en outre ils étaient alliés à des tribus indiennes qui leur servaient d’avant-garde dans la guerre presque incessante des frontières. Les « Bostoniens », ainsi qu’on nommait alors les blancs de la nouvelle Angleterre actuelle, avaient même été obligés de changer leur politique à l’égard des Peaux-Rouges par suite de l’obstacle que leur opposait la colonisation française. Tandis que, dans les premiers temps, ils se considéraient, lecteurs assidus de la Bible, comme un nouveau « peuple élu » entrant dans une nouvelle « Terre promise », avec ordre divin d’en exterminer les Philistins, la continuation de la guerre d’extermination eût pu désormais devenir trop dangereuse et, pour résister aux Français et à leurs confédérés indiens, ils durent entrer à leur tour dans la voie des traités avec de puissantes peuplades aborigènes. C’est ainsi que s’engagea l’inexpiable lutte entre les Hurons, amis des Français, et les cinq nations des Iroquois alliés des Anglais. Un siècle plus tôt, les Hurons auraient été probablement de taille à se mesurer avec les Iroquois, que les Bostoniens lançaient contre eux ; mais ils avaient été « convertis » par les jésuites.