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l’homme et la terre. — le dix-huitième siècle

de leur force, mais ignorants de l’œuvre funeste à laquelle on les destinait, furent-ils les vainqueurs dans cette lutte à mort, où il s’agissait en réalité de l’extermination de leur propre race.

Débarrassés des Indiens par la force ou par la ruse, les Bostoniens, aidés par une armée anglaise, pouvaient donc se considérer d’avance comme maîtres du Canada français. Lorsque la guerre décisive éclata enfin, en 1759, les corps
Cabinet des Médailles.
monnaie de billon frappée à pondicherry
dite de la demi-biche.
de troupes qui envahirent la colonie par trois côtés à la fois, le centre et les deux extrémités de l’amont et de l’aval, formaient un effectif presque égal en nombre à celui de tous les habitants français de la contrée, hommes, femmes et enfants. On comprend à peine comment la résistance fut possible et même entremêlée de victoires pour cette petite nationalité qui d’avance était vaincue. Les Anglais avaient été battus lorsqu’une flotte de secours, entrant dans les eaux de Québec, assura définitivement l’annexion du Saint-Laurent à l’empire colonial de l’Angleterre. Les ports de France, bloqués par les vaisseaux anglais, n’avaient pu envoyer de renforts au Canada, et, d’ailleurs, qui, au milieu des fêtes et des intrigues de Versailles, s’inquiétait de ces « quelques arpents de neige » ?

Pourtant les Canadiens, tout en exécrant le traître Louis XV qui les avait ainsi négligemment abandonnés, n’en continuèrent pas moins de rester Français à leur manière, et même avec une fidélité singulière, qui s’explique par l’isolement relatif dans lequel ils se sont trouvés pendant le siècle suivant, par leur groupement solide en une société distincte au point de vue de la langue et de la religion, enfin par l’extraordinaire vitalité de leur race, qui, sous cet heureux climat, grâce au bienfaisant travail de la terre, se développa numériquement en des proportions qui sont presque sans exemple. Les soixante-sept mille Franco-Canadiens qui vivaient aux bords du Saint-Laurent en 1763, lorsque le traité de Paris en fit des sujets anglais, étaient devenus plus d’un million d’hommes un siècle plus tard ; ils sont deux millions aujourd’hui.

La France échappait à la guerre de Sept ans aussi profondément