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l’homme et la terre. — le dix-huitième siècle

jusqu’aux étoiles : « Si, dans la Voie lactée, un être pensant voit un autre être qui souffre, et ne le secourt pas, il a péché contre la Voie lactée. Si, dans la plus lointaine étoile, dans Sirius, un enfant, nourri par son père, ne le nourrit pas à son tour, il est coupable contre tous les globes » (Voltaire). Ce beau caractère d’unité des mondes se montre admirablement dans l’œuvre de Montesquieu, l’Esprit des Lois, qui plane bien au-dessus de la France de Louis XV pour aller chercher en tous les pays et en tous les temps, dans les rapports de l’homme avec la nature, les causes des diversités politiques et sociales.

Voltaire entreprend une œuvre analogue dans son Essai sur les Mœurs, avec moins de sérénité mais avec une bien autre ardeur. Ce livre est un livre de combat dirigé surtout contre l’ « infâme », c’est-à-dire contre les hommes noirs, inventeurs de mensonges, faiseurs d’obscurité, artisans d’ignorance, qui pervertissaient, abêtissaient et corrompaient les foules pour les opprimer plus sûrement. Buffon, le plus majestueux des écrivains du dix-huitième siècle, s’écarte de la lutte bruyante, mais son labeur patient avait pour but d’écarter aussi les légendes absurdes et les niaises redites de l’Église sur l’origine du monde et de montrer, dans leur succession magnifique, les Époques de la Nature déterminées, non par une création d’en haut mais par une évolution graduelle de la matière. Puis vient le merveilleux, l’incomparable Diderot, qui, dans sa naïveté sublime d’honnête homme, tente de réaliser l’impossible en associant tous les savants, tous les artisans, tous les penseurs à la rédaction de l’Encyclopédie, grand livre exposant toutes les connaissances, toutes les industries et faisant la lumière sur toute chose, de manière à prévenir désormais le retour offensif de ces prêtres qui, pourtant, avaient encore une bonne part du pouvoir matériel dans les mains et que Diderot lui-même ne brava pas toujours sans danger.

Quoique personne ne lise plus l’Encyclopédie, remplacée depuis longtemps par la science, dans ses progrès incessants, cette œuvre n’en reste pas moins un monument symbolique du bel idéal qui se montrait alors à l’humanité consciente : le dix-huitième siècle est avant tout le siècle de l’Encyclopédie. Pour en atténuer l’effet, les jésuites, obligés de renoncer pour un temps à l’emprisonnement et au bûcher, leur méthode préférée de réfutation, essayèrent de lutter par une entreprise analogue. De leur couvent de Trévoux, ils lancèrent leur Dictionnaire, ancien ouvrage de Furetière, remanié par le protestant Basnage, puis de