Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome IV, Librairie universelle, 1905.djvu/633

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
601
étude du globe

Cotopaxi, réputées alors les plus hautes montagnes de la Terre, se mettaient à l’œuvre pour mesurer un arc de méridien terrestre de plus de trois degrés en longueur du nord au sud. Le travail, poursuivi avec le plus grand soin, dura six années et permit de dresser une carte de la contrée d’une exactitude admirable, supérieure même à celle que put obtenir Humboldt, cinquante ans plus tard, dans son mémorable Voyage aux régions équinoxiales[1]. Cette mesure d’arc de l’expédition équatoriale, menée à bonne fin malgré les difficultés et les dangers, malgré l’âpre climat, les tremblements de terre, le manque de subsides, la faim, même la discorde, fut un grand événement scientifique, mais elle compta aussi dans l’histoire de la fraternité des peuples, puisqu’au nom de la science, le territoire fermé de l’Amérique espagnole avait été ouvert à des savants de race étrangère. Il est vrai qu’après le départ de ces hôtes, on se vengea d’eux en rasant les pyramides qu’ils avaient dressées aux deux extrémités de leur ligne de base. Le patriotisme de l’époque le voulait ainsi : du moins lui suffit-il de démolir ces quelques pierres, qu’une nouvelle expédition coûteuse s’occupe de rétablir aujourd’hui.

L’ère des grandes explorations scientifiques était définitivement ouverte. La connaissance du ciel, dont les mouvements étaient désormais mesurés par le chronomètre, aidait à connaître la Terre, que l’on étudiait plus à fond dans tous ses phénomènes physiques et dans ses produits de toute espèce, y compris l’Homme. Une ardente émulation de découvertes se produisait entre les diverses nations de l’Europe, et maint navire emporta, mainte terre abrita des savants de patries différentes, heureux de collaborer fraternellement à la même œuvre de science utile pour tous les peuples. Parmi tant de voyages mémorables qui contribuèrent à faire de la planète un ensemble harmonique soumis aux mêmes lois, on doit citer surtout les pérégrinations de Carsten Niebuhr en Arabie et dans l’Asie Antérieure, ainsi que les expéditions océaniques de Bougainville, de Cook et Forster. Niebuhr laissa un incomparable résumé de ses recherches de sept années, modèle difficile à égaler par les voyageurs qui viendront après lui. Bougainville découvrit de nombreux archipels du Pacifique, entre autres celui de Tahiti, la « Nouvelle Cythère », dont l’imagination des lecteurs, enivrés de l’idéal

  1. Theodor Wolf. Verhandlung der Gesell, für Erdkunde zu Berlin, 1891.