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l’homme et la terre. — les communes

le règlement de comptes, on s’entendait assez facilement avec les seigneurs et les barons, car le pauvre peuple avait à payer les différences, mais contre les villes, contre les communes dans lesquelles avait soufflé l’esprit de liberté, les vengeances furent impitoyables[1]. La franche initiative du citoyen, voilà l’ennemi !

Avec ses diverses vicissitudes, la guerre dura vingt ans, et même on put croire que Raymond VII, fils du lamentable comte qui s’était soumis à la honte d’une fustigation publique, ordonnée par le pape, finirait par reconquérir l’héritage paternel. Mais ce furent là des succès éphémères, et, d’ailleurs, des suzerains du Languedoc fussent-ils restés les maîtres officiels de ces provinces au lieu du roi de France, la situation eût été également désastreuse, car dans le pays en ruines, les industries étaient détruites. Pour la troisième fois, depuis le triomphe du christianisme, les pillards fanatiques du Nord se ruèrent sur la malheureuse cité de Toulouse pour en voler les trésors, en égorger les habitants. Pour la troisième fois, après les Francs de Clovis et les Austrasiens de Charlemagne, ceux qu’on appelait maintenant les Français firent jaillir du sol la fontaine de sang que la légende dit apparaître d’ère en ère sur la place du Capitole toulousain. Quoique destinée à de si terribles aventures, la grande cité du Midi occupe, il est vrai, un site trop bien placé comme centre de rendez-vous pour qu’elle ne se soit pas relevée après chaque désastre, superbe métropole de toute la contrée entre Aude et Gironde. Mais, en perdant sa liberté, la cité perdit ce qui rend la vie honorable et fière. Désormais les vaincus avaient forfait jusqu’au droit de penser, puisque l’Inquisition trônait au-dessus d’eux, soumettant à la surveillance et à la délation les moindres manifestations de la parole. De rage d’avoir laissé des morts échapper au supplice, les « frères » inquisiteurs s’ingénièrent même à brûler des cadavres, puis on alluma des corps vivants, « à la gloire de Dieu, de Jésus-Christ et du vénérable Dominique ». Bernard Guy, l’auteur de la Pratica des inquisiteurs, manuel des interrogatoires et des sentences, se vantait d’avoir brûlé 630 hérétiques en six années (1217 à 1223), d’en avoir torturé et emmuré des milliers. Pour éviter que la jeunesse destinée aux fonctions dites libérales pût se hasarder dans les voies de la pensée libre, on institua la prétendue « université » de Toulouse, établissement où ce que l’on nommait science devait être domestiqué au service de l’orthodoxie. Et, comme par

  1. La Croisade contre les Albigeois, Edition Mary-Lafon, Introduction, p. 28.