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l’homme et la terre. — les communes

nus par de lourds piliers. Plus tard, quand l’édifice se dégagea pleinement pour dresser ses nefs plus haut dans l’air libre, l’habitude se maintint jusqu’à la fin du onzième siècle, même jusqu’au douzième (de Caumont), de ménager des cryptes au-dessous de l’église : c’est là que l’on gardait les reliques, et le culte, célébré dans l’obscurité, y prenait un caractère plus mystérieux, plus formidable, comme si l’on y eût encore adoré les génies de la terre, à la fois dieux et démons.

Evidemment, l’influence orientale, symbolisée dans Bysance qui servait de boulevard à toute l’Europe contre le monde asiatique, offrit ses modèles aux édifices religieux qui s’élevèrent dans l’Occident aux époques de progrès et de paix relative succédant aux invasions barbares.

Cette influence dut être même beaucoup plus puissante qu’on ne se l’imagine d’ordinaire, car les nombreuses églises bysantines que l’on voit dans toute l’Europe, et notamment dans l’Auvergne, le Périgord, l’Angoumois, la Saintonge, témoignent en faveur de l’intimité, des relations fréquentes entre Constantinople et ces provinces. Certes, on comprend sans peine que les Vénitiens, ces commerçants si actifs comme intermédiaires des échanges dans la Méditerranée, aient eu parmi eux des artistes qui se soient inspirés du style de la somptueuse église dédiée aux saints Apôtres par Justinien, et qu’ils en aient profité pour élever leur propre monument de Saint-Marc ; mais on s’étonne de voir à la même époque (984 à 1047) se dresser à Périgueux la belle église à coupoles de Saint-Front[1] devenue le modèle de beaucoup d’autres édifices religieux entre Loire et Garonne, et, par évolution graduelle, le point de départ de l’architecture ogivale dans le reste de la France[2].

C’est même par delà Constantinople, semble-t-il, que l’on doit chercher quelques-uns des initiateurs directs des architectes de l’Occident : des artistes persans paraissent avoir exercé leur influence, non par intermédiaires et de proche en proche, mais par enseignement immédiat. M. Dieulafoy et autres archéologues ont reconnu avec étonnement que l’église de Saint-Philibert, à Tournus, sur la rive droite de la Saône, est un édifice de construction persane pour une bonne part : les piliers, les arcs, les pendentifs, les voûtes, tous les détails de celle œuvre du neuvième siècle ressemblent exactement à ceux que l’on trouverait dans un

  1. Ed. Corroyer, Les Origines de l’Architecture française au Moyen Age, séance publique annuelle des cinq académies, 25 oct. 1898.
  2. F. de Verneilh, Architecture byzantine en France. — Voir diverses gravures du chapitre des Croisades.