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l’homme et la terre. — les communes

faut admettre que certains des architectes persans qui résidaient alors en grand nombre à Constantinople furent englobés dans l’édit de proscription lancé par Léon l’Isaurien contre les iconoclastes, et finirent par se réfugier sur les bords de la Saône, où les moines de Tournus les employèrent, eux ou leurs élèves, à bâtir leur église abbatiale (Dieulafoy).

Plus tard, lors des Croisades, ce furent les Occidentaux eux-mêmes qui allèrent s’inspirer directement des formes de l’Orient, dans Halep, Edesse et Damas. Les maîtres maçons du Levant et du Ponant firent la connaissance les uns des autres, et, tandis que les côtes de Syrie se hérissaient de tours féodales d’une puissance d’architecture admirable, les églises des Gaules s’ornaient de fleurons et de sculptures, qui, tout en s’accordant d’une manière harmonieuse avec la nature environnante, apportaient néanmoins quelque chose d’étrange, comme le souvenir d’un monde lointain où les voyageurs chevauchent à l’ombre des palmiers. D’ailleurs, ceux qui érigèrent les flèches gothiques étaient les premiers à se vanter de ces origines orientales, et, sans savoir exactement quelle était la région mère, ils désignaient l’Asie d’une manière générale, Tyr, Jérusalem ou Babylone. Ainsi, dans l’histoire des progrès humains, ces mêmes Arabes qui reçurent des Persans et des Bysantins les trésors de la littérature et de la philosophie hellénique et collaborèrent par contre-coup au mouvement de la Renaissance, secondèrent également les Occidentaux dans leur œuvre la plus grandiose, celle de l’architecture ogivale au douzième siècle. Du reste, l’Orient ne s’était-il pas transporté tout entier pour ainsi dire d’Arabie, de Syrie, d’Iranie jusqu’en Sicile et en Espagne ? L’ensemble de tous ses produits, hommes et choses, ne se détournait-il pas vers l’Atlantique, et la pénétration des sentiments, des idées, des procédés n’avait-elle pas dû s’accomplir entre voisins, même ennemis ? « Cette évolution de l’architecture, dit Dieulafoy, fut le dernier succès de l’Islam. » Mais il s’en faut pourtant que l’Orient soit épuisé pour nous, et l’art persan, notamment, nous garde encore bien des enseignements au profit du charme et de l’élégance des demeures.

Les mystiques s’imaginent volontiers que les superbes cathédrales du moyen âge, dégagées des formes un peu lourdes de l’architecture romane, sont pour ainsi dire nées d’elles-mêmes par le seul élan de la foi, comme s’il suffisait de vouloir monter aux cieux pour y planer. A l’idéal, si élevé qu’il soit, il faut aussi le concours de conditions matérielles, et, ce concours, les communes de l’Occident qui dressèrent les églises et