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l’homme et la terre. — les communes

néant par ce fait que la disposition des cathédrales reproduit exactement celle des basiliques romaines ? « Trois portes conduisaient dans le monument, dont la capacité intérieure était divisée, dans le sens de la longueur, en trois parties par une double rangée de colonnes à arcades… Les trois avenues parallèles ou nefs aboutissaient à une construction transversale, à un transept, élevé de quelques degrés au-dessus de l’aire de la nef et défendu par une balustrade. En face de la grande allée et au delà du transept, l’édifice s’arrondissait en hémicycle[1]. » Or ce sont là précisément les dispositions de la cathédrale ! Les Romains idolâtres auraient donc sans le savoir symbolisé la croix et le dogme de la Trinité. Et les églises rondes, fort nombreuses dans l’ancienne France, n’étaient-elles pas également imitées des rotondes romaines ? Le symbolisme, œuvre de patience inconsciente et de réflexion, ne précède pas les événements, il les suit.

La perspective historique nous montre la succession des faits à rebours, non dans leur période logique de formation, mais en sens inverse, dans leurs évolutions dernières ; or, la société moderne, infiniment plus complexe que celle du moyen âge, a nettement séparé le clergé du reste de la nation, les intérêts se sont différenciés d’une manière absolue, et les églises ont fini par être attribuées exclusivement aux cérémonies religieuses. On se laisse donc facilement entraîner à croire qu’il en fut toujours ainsi, ce que dément le témoignage des siècles successifs. Les documents anciens constatent que l’église était l’édifice de tous, le lieu d’assemblée populaire aussi bien pour les fêtes et les cérémonies civiles que pour les rites religieux. On peut citer en exemple les « pardons » de la catholique Bretagne : lors de ces concours de population, les divertissements profanes, qui étaient certainement d’origine antérieure au christianisme, l’emportaient de beaucoup sur les pratiques du culte dans la passion des paysans : les danses et les chants, les exercices athlétiques, la lutte et les courses avec des enjeux et des primes se célébraient joyeusement dans les landes entourant l’église ; encore au milieu du dix-huitième siècle, on dansait dans les nefs, en vue du maître-autel. La vieille complainte de saint Efflamm avait été « mise en vers » afin qu’on la chantât dans les églises[2].

Et dans tout le monde chrétien, comme en Bretagne, la vie sociale,

  1. Batissier, Histoire de l’Art monumental, p. 309.
  2. La Villemarqué, Barzas Breiz, p. 488 ; — Ch. Letourneau, Évolution littéraire, p. 485.