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Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome V, Librairie universelle, 1905.djvu/161

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l’homme et la terre. — nationalités

année, tous les efforts se concentrèrent autour de la baie ramifiée que défendaient les fortifications de Sébastopol. Ce n’était qu’un point, mais sur ce point, les puissances en lutte dirigèrent toutes leurs ressources en hommes, capitaux, forces offensives et défensives. La résistance égalait l’attaque ; les murs démolis le jour se relevaient pendant la nuit, et de nouveaux régiments, ceux des alliés venus par mer, ceux des Russes accourus par terre, remplaçaient incessamment le matériel humain qui comblait les tranchées et les brèches. A la fin, le sort favorisa les assaillants, et toute la moitié méridionale de la forteresse fut arrachée à la garnison russe (8 septembre 1855). Du coup, l’empire moscovite se trouvait plus que vaincu, il était profondément abaissé. Déjà, Nicolas, pressentant la chute, était mort d’humiliation et de chagrin ; la Russie, trop inféodée au despotisme pour qu’il lui fût possible de changer de politique, dut néanmoins « se recueillir ».

Cependant, au moment même où le prestige de la Russie, où sa puissance apparente étaient le plus sensiblement atteints par les événements de Crimée, elle se développait prodigieusement en étendue matérielle, comme par une sorte de croissance automatique. Le territoire immense qui s’étend à l’ouest de l’Oussouri, entre la rive droite de l’Amur et le littoral du Pacifique, devenait annexe de l’empire et s’ouvrait à la colonisation. La Russie possédait désormais une façade sur le libre Océan. Si, du côté de l’ouest, en Europe, des issues maritimes sur la Baltique et la mer Noire restaient gênées par les détroits, du côté de l’est, elle commandait les espaces océaniques, et le petit village qui se fondait pour abriter sur les rives du Pacifique les premiers représentants de la puissance slave pouvait se donner fièrement le titre de Vladivostok, « Dominateur de l’Orient ». Le traité formel d’Aïgoun, en 1858, consacrait les annexions russes.

Bientôt après la guerre de Crimée, l’empire français, fidèle à ses origines, avait à en soutenir une seconde, qui, d’ailleurs, était depuis longtemps en gestation. Des engagements antérieurs avaient été conclus entre Victor-Emmanuel et Napoléon, mais celui-ci, personnage lent, irrésolu, secoué de brusques frénésies, hésitait à tenir ses promesses, lorsqu’un patriote italien, Orsini, vint les lui rappeler brutalement, en faisant éclater des bombes sur son passage, 14 janvier 1858. Tout d’abord l’avertissement ne fut pas compris : en proie à la peur et à la vengeance, l’empereur ne songea qu’à édicter des mesures répressives contre toute