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l’homme et la terre. — nationalités

manœuvrer librement sur les côtes, forcer plusieurs fois l’entrée de Canton, bombarder les forts, prendre en gage temporaire une des îles situées près de l’embouchure du Yang-tse, c’est-à-dire en face même du centre de l’empire, et s’emparer, définitivement cette fois, d’une île qui lui assurait la domination commerciale et militaire de toute la Chine méridionale et des mers qui baignent le sud-est de l’Asie. Depuis l’année 1841, cette colline insulaire de Hong-kong, absolument invulnérable de la part des Chinois, n’a cessé de grandir en richesse, en population et en force d’attaque. En vertu du traité de Nan-king, imposé par les Anglais en 1843, cinq ports du littoral furent ouverts librement au commerce étranger, Canton, Amoï, Fou-tcheou, Ningp’o, Changhaï. L’année suivante, l’escadre américaine, puis celle de France vinrent se faire accorder les mêmes avantages : les Français stipulèrent, en outre, l’abrogation des lois de proscription contre les missionnaires chrétiens et les catéchumènes indigènes : de nouveau les prêtres catholiques, auxquels devaient s’associer les protestants de toutes sectes, recommençaient leur œuvre de désagrégation dans l’empire.

Peu d’années après, c’est-à-dire exactement à l’époque où le monde occidental était lui-même si profondément secoué dans sa charpente politique, l’empire chinois fut ébranlé par la grande révolte des Taï-ping, que des révolutions antérieurs de l’Extrême Orient ont pu certainement égaler en ruines et en massacres, mais qui se distingua d’elles toutes par ses traits d’origine étrangère. Les bandes groupées autour des organisateurs de la lutte qui éclata en 1850, après une longue préparation secrète, appartenaient presqu’exclusivement à la classe des Hakka, prolétaires méprisés des bords du Si-Kiang et de ses affluents, dans lesquels on voit des Chinois du nord, de racé très pure, immigrés parmi les Punti, « racines de la Terre », ou aborigènes qui constituent le gros de la population du Kuang-tung. Les révoltés étaient donc des Chinois par excellence, et, dans leur marche triomphante à travers les provinces du centre, le long de l’axe de vie de la « Fleur du milieu », ils recrutèrent leurs adhérents uniquement parmi les Chinois patriotes pour lesquels la domination de la dynastie mandchoue était la pire des humiliations nationales : le symbole de la libération était de laisser pousser la chevelure, suivant l’ancienne mode populaire : de là le nom de Tchang-mao ou « Longs cheveux » qui devint l’appellation commune des insurgés. Et ces Chinois purs se laissent si bien influencer