Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome V, Librairie universelle, 1905.djvu/20

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
15
parlement de vizille

puis, saisissant leurs triques, elles se retournent contre la troupe, soufflettent les chefs, entourent les soldats, les immobilisent, les dispersent, s’emparent des portes de la ville, sonnent les cloches pour appeler les campagnards de la banlieue. C’est une révolution. Les ordres de la Cour sont formellement méconnus, et les délégués des trois ordres se réunissent de leur pleine initiative dans le château de Vizille, au bord de la tumultueuse Romanche (21 juillet 1788). Se sentant les représentants de la France et non seulement du Dauphiné, ils décident, en une longue séance de vingt heures, que désormais on n’octroierait plus les impôts à la simple demande du roi, mais seulement de par la volonté du peuple transmise par les États généraux. De toutes parts on avait les yeux fixés sur les députés dauphinois et on les encourageait à la lutte ; les soldats n’osaient plus tirer : les uns parce qu’ils étaient du peuple, les autres parce qu’ils ne savaient plus, devant la puissance de l’opinion publique, quels étaient les véritables maîtres. Les députés se dispersèrent, mais la convocation des États était devenue inévitable, et même avec prépondérance du Tiers, c’est-à-dire de la bourgeoisie française.

Précisément ce fut un ministère de combat, de pure violence, celui de Loménie de Brienne, présenté par la reine comme l’expression directe de sa volonté, qui, poussé par la force des choses, eut à convoquer les États, c’est-à-dire à subordonner le roi à la nation. Cet homme de défi avait renvoyé les notables pour montrer en quel mépris il tenait tout ce qui n’était pas dans la domesticité du roi, puis il avait, comme par gageure, offensé dans leur amour-propre tous ces pauvres parlements de Paris et de province, qui ne demandaient guère autre chose que les apparences extérieures dans le respect de leurs privilèges antiques. Enfin, il avait institué, comme par moquerie de la représentation nationale, une « cour plénière », composée de princes du sang et des courtisans immédiats. Quand même, lorsque la caisse se trouva vide, absolument vide, il fallut bien que Brienne se retirât et soumit le roi à l’humiliation de rappeler Necker, son ennemi personnel, qui commença dédaigneusement par soutenir le royaume de France de sa propre fortune et de son crédit. Les États généraux allaient se réunir. La bourgeoisie avait triomphé : la noblesse, le clergé, le roi passaient au second plan.

Le mouvement des élections prit un caractère de grandeur épique, dû non seulement à l’importance des événements mais aussi aux dan-