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l’homme et la terre. — la révolution

sujets — auraient à se conformer aux ordres venus du centre, s’accommoder aux vêtements que l’on avait taillés pour eux. Evidemment l’unité artificielle que l’on voulait ainsi fonder était en désaccord avec le mouvement de l’histoire, avec le rythme de la Terre, et d’ailleurs elle ne triompha qu’en apparence, car, suivant les milieux, les lois sont toujours diversement appliquées.

Encore en 1791, un député de l’Assemblée constituante, Achard de Bonvouloir, protesta contre l’absurde unification des lois, déclarant que la « majorité des ci-devant Normands entendait conserver sa coutume », et plaidait pour une « variété de lois et de règlements en rapport avec les mœurs et les habitudes particulières de chaque province ». Mais le fanatisme de l’autorité, jouant sur le sens de l’expression « égalité entre les hommes », voulut ignorer quand même les traditions locales, les coutumes héréditaires auxquelles tenaient précieusement les indigènes comme à une part de leur existence, et le niveau égalitaire fut choisi pour symbole de la Révolution. Telle province y gagna, telle autre y perdit, notamment les « vallées », c’est-à-dire les petites républiques pyrénéennes que les remparts naturels de leurs montagnes avaient de tout temps défendues contre le caprice des seigneurs, et qui, désormais ouvertes par la construction des routes, le défrichement des forêts, et surtout par l’agrandissement de l’horizon intellectuel et moral, devaient participer à la vie générale de la grande nation qui les embrassait dans son vaste domaine. C’est ainsi que les communautés libres, les « universités » des montagnards perdirent la gérance incontrôlée de leurs intérêts et leurs assemblées souveraines, où chacun et chacune avaient le droit absolu de présence, de parole et d’initiative. Cette confiscation d’un héritage inappréciable eut pour conséquence d’inévitables rancunes qui s’ajoutèrent aux éléments de réaction et de déchirement national.

Les beaux jours de l’enthousiasme initial ne pouvaient durer. A l’exception de quelques représentants, le clergé s’était prêté de mauvaise grâce au sacrifice des privilèges et, partout où il fut assez fort pour exciter et soulever le peuple, il revendiqua très âprement la possession de ses terres : des paysans qui n’avaient rien étaient entraînés à se battre pour conserver les milliards des prélats. Le Cambrésis s’était révolté, emporté par le même mouvement clérical que les Flandres voisines, où la population des campagnes se pressait autour de ses curés, clamant pour le