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l’homme et la terre. — répartition des hommes

naturels, sans fleuve, sans port, située d’une manière particulièrement favorable, et non divisée en États politiques distincts, la plus grande cité se fût élevée directement au centre du pays ; les villes secondaires se seraient réparties à des intervalles égaux sur le pourtour, espacées rythmiquement, et chacune d’elles aurait eu son système planétaire de villes inférieures, ayant leur cortège de villages. La distance normale d’une journée de marche, tel devrait être sur une plaine uniforme l’intervalle entre les diverses agglomérations urbaines : le nombre de lieues parcourues par un marcheur ordinaire entre l’aube et le crépuscule, soit douze à quinze correspondant aux heures du jour, constitue l’étape régulière d’une ville à l’autre. La domestication des animaux, puis l’invention des roues, et, depuis, les machines ont, graduellement ou brusquement, modifié les mesures primitives : le pas de la monture, puis le tour d’essieu déterminèrent l’écart normal entre les grandes réunions d’hommes. Quant aux villages, leur distance moyenne a pour étalon le parcours que peut fournir l’agriculteur poussant sa brouette chargée de foin ou d’épis. L’eau pour le bétail, le transport facile des fruits du sol, voilà ce qui règle l’emplacement de l’étable, du grenier et de la chaumière.

En nombre de contrées peuplées depuis longtemps et présentant encore dans la distribution urbaine de leurs habitants les distances primitives, on retrouve, dans le désordre apparent des villes, un ordre de répartition qui fut évidemment réglé jadis par le pas des marcheurs. Dans la « Fleur du Milieu », en Russie, où les voies ferrées sont de création relativement récente, en France même, on peut constater l’étonnante régularité avec laquelle se distribuèrent les agglomérations urbaines avant que les exploitations minières et industrielles vinssent troubler l’équilibre naturel des populations[1]. Ainsi, la ville capitale de la France, Paris, s’est entourée, vers les frontières ou les côtes du pays, de cités dont l’importance ne le cède qu’à la sienne : Bordeaux, Nantes, Rouen, Lille, Nancy, Lyon. L’antique ville, phénicienne puis grecque, de Marseille appartient par ses origines à une autre phase de l’histoire que les cités gauloises, puis françaises ; cependant sa position s’harmonise avec la leur, car elle se trouve à l’extrémité méditerranéenne d’un rayon qui doublerait la distance normale de Paris aux grandes planètes urbaines de son orbite. Entre la capitale et les chefs-lieux de deuxième

  1. Gobert, le Gerotype.