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l’homme et la terre. — la révolution

alliés fournissent les troupes, que guident les nobles émigrés, tandis que l’Angleterre donne les subsides. Une nouvelle croisade se forma contre la nation française et, sans compter la fureur vindicative du clergé, l’enthousiasme religieux ne manqua pas à cette guerre sainte. En mainte famille britannique, ce fut vraiment une partie essentielle de la religion que de haïr les Français, peuple de libertins unissant à la fois les superstitions catholiques aux blasphèmes de la libre-pensée et aux futilités du monde élégant. On cherche toujours des raisons pour justifier ses haines, et même plus que des raisons : des inspirations divines. Il resta donc convenu, et durant des générations, que le patriotisme et la piété n’allaient point sans maudire l’ennemi héréditaire.

Il semblait vraiment impossible que la France pût résister à l’Europe conjurée contre elle en même temps qu’à la révolte de ses propres enfants. Et d’ailleurs avait-elle une armée ? Les bandes qui lui restaient gardaient-elles quelque cohésion dans ce vertigineux chaos des révolutions intérieures et sous le commandement d’officiers qui trahissaient la République ? C’est en pleine guerre qu’il fallait réorganiser toutes les forces militaires, transformer l’armée du roi en armée de la nation, lever, dresser, discipliner les recrues par centaines de mille et les opposer aux solides bataillons des envahisseurs.

De toutes les œuvres de la Révolution, ce fut précisément celle-là, désespérée en apparence, qui réussit le mieux. Le centre de la guerre se déplaça rapidement : de la France nord-orientale où la lutte avait commencé, le conflit fut reporté en Belgique et en Allemagne ; les événements se succédèrent avec la rapidité d’une éruption volcanique. Ces étourdissants succès militaires, qui consternaient la réaction européenne, auraient dû la rassurer au contraire, car ils provenaient de ce que le mouvement de la Révolution était désormais dévoyé, écarté de son but. C’est à bon escient que de fins politiques avaient essayé de détourner l’ardeur de la nation vers la passion des batailles.

L’impulsion à laquelle obéirent les Français de la Révolution hors de leurs frontières est du même ordre complexe que celle d’où sortit le mouvement des Croisades, lorsque chevaliers, moines et paysans lancés à la délivrance du Saint-sépulcre se donnaient naïvement comme prétexte la foi religieuse pour satisfaire leur passion de guerre aventureuse. Des sentiments élevés se mêlaient pour une certaine part à l’élan qui poussa tant de jeunes hommes vers la frontière. Quelques-uns