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évolution vers la science exacte

La Révolution française correspond dans l’histoire de la pensée à une très grande évolution, celle qui remplaça les spéculations métaphysiques par la mensuration, le pesage, la sériation, le classement, et ceci précisément à une époque où le langage de la « sensibilité », de la « sensiblerie », prévalait encore, où le tragique de la vie était presque toujours accompagné de rhétorique. Lavoisier, l’une des victimes de la Révolution, avait montré par des pesées infinitésimales comment un des éléments de l’air se combine avec les corps oxydés ; Guyton de Morveau avait instauré, par sa méthode de notation chimique, une langue nouvelle qui put servir pendant un siècle, et même encore de nos jours, à guider les savants dans leurs études ; enfin par la fixation et l’emploi du mètre et de ses dérivés, œuvre due aux recherches des astronomes et des mathématiciens de l’époque, la besogne matérielle des savants se trouva grandement simplifiée : la clarté se fit dans leurs calculs, et du coup la vie en fut comme allongée puisqu’on pouvait y presser une quantité plus grande de travail. La forme même de la planète qui nous porte, mesurée dans l’Europe occidentale, en Laponie et dans les régions équatoriales de l’Amérique avait servi à déterminer la longueur primaire de l’étalon, que l’on multiplie par les puissances successives de dix pour obtenir tous les multiples du mètre initial — et que l’on divise par ces mêmes chiffres pour avoir les subdivisions du mètre —, et qui sert également à déterminer les poids en prenant le volume de l’eau pour intermédiaire. Malgré la ténacité de la routine, la mesure nouvelle a graduellement remplacé les « aunes » et « brasses » employées jadis, et peu à peu, elle fait la conquête du monde, même chez les peuples que son acte de naissance, dans cette « période affreuse de la Révolution », remplit d’une sainte horreur.

Le changement du calendrier n’a pas eu le même succès, quoique le calendrier encore employé chez les nations dites civilisées soit un ensemble d’absurdités dont quelques-unes touchent au ridicule. Quelle est cette date du 1er janvier, qui ne correspond absolument à rien de terrestre ni à rien de stellaire ? Les chrétiens ne peuvent trouver d’autre argument en sa faveur que la légende relative à la circoncision de l’Homme-Dieu, rite par lequel Jésus fut incorporé à cette même religion juive qu’il devait détruire. Mais astronomiquement, logiquement, on ne saurait faire partir l’année que du commencement d’une des