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l’homme et la terre. — contre-révolution

complice. Ce fut l’attentat du 18 brumaire (9 nov. 1799), qui supprimait la République et rétablissait la monarchie, sous d’autres formes et sous un autre nom. D’abord, le général Bonaparte se contenta du titre de consul, qu’il voulut bien partager avec un Roger Ducos et un Siéyès, le même abbé qui, après avoir inauguré la révolution bourgeoise par sa brochure sur le Tiers état, vint en clore le cycle par une constitution faite à l’usage du despote nouveau et concentrant tous les pouvoirs dans la main de l’Etat.

Mais il fallait se débarrasser de tous les républicains qui restaient en France, que les honneurs, les places, l’argent, les ambitions militaires n’avaient pas assagis et dont le silence forcé ne garantissait pas la future obéissance. Une conspiration royaliste vint à point pour faciliter la déportation de ces hommes haïs que l’on envoya mourir de la fièvre dans les marais de la Guyane. La partie de l’armée la plus suspecte d’esprit républicain fut désignée pour la mort : on l’expédia dans l’île de Saint-Domingue, mêlée à des bandes de chouans revêches. Bonaparte se promettait ainsi un double avantage. Non seulement il écartait des soldats dont il aurait pu redouter l’indiscipline, mais il donnait un gage à tous les partisans de l’ancien régime en France et en Europe par sa brutale tentative en vue du rétablissement de l’esclavage des noirs. Cette même armée, qui avait été chargée de proclamer la République, la suppression des corvées et du servage sur les bords du Rhin, recevait maintenant pour mission d’asservir de nouveau les nègres et de rétablir la traite. En moins de deux années, le climat de Saint-Domingue et la fureur des noirs eurent raison de 35 000 hommes qui avaient débarqué au Cap Haïtien au commencement de 1802, et qui menaient avec eux des chiens de combat habitués à se nourrir de la chair des nègres ; les derniers Français furent emmenés prisonniers par la flotte anglaise en novembre 1803. La France perdit ainsi la belle colonie qui, avant Cuba, portait le nom de « Perle des Antilles ».

Quant à l’île double de la Guadeloupe qui s’était vaillamment reconquise, en 1794, sur les envahisseurs anglais et qui, sous pavillon français, s’était fièrement gouvernée d’une manière autonome, en assurant aux noirs armés leurs droits de citoyens libres, Bonaparte ne pouvait tolérer qu’elle continuât de donner un aussi bel exemple de liberté populaire. Une armée d’invasion vint rétablir de force l’esclavage, auquel des milliers de noirs, préférant la mort, surent échapper par le