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l’homme et la terre. — le nouveau monde et l’océanie

fiction administrative : on peut considérer comme appartenant à l’agglomération new-yorkaise diverses villes importantes qui se trouvent dans un autre État, le New-Jersey, mais qui n’en ont pas moins surgi comme des annexes et dépendances naturelles du grand centre de vie et, pour ainsi dire, croissent à vue d’œil : Jersey-City, Elisabeth, Hoboken, Newark, Paterson. Comparant « Greater London » (Londres majeur), approximativement limité par une circonférence de 23 kilomètres de rayon, à un « Greater New-York » de même dimension, l’écart du chiffre de population ne serait pas considérable. Le fleuve Hudson et des marécages, anciens détroits d’archipels qui ne sont pas encore devenus terre ferme, séparent provisoirement ces villes de leur métropole.

Washington, cité bâtie en entier sur un vaste plan d’ensemble pour devenir la capitale administrative et politique des États-Unis, a certainement des privilèges que les habitants, aidés par le trésor de la République, utilisent de leur mieux. Elle est devenue grande cité, surtout parce qu’elle est la résidence du monde officiel, l’endroit où se cantonnent les montreurs de marionnettes parlementaires pour « tirer les fils » (pull the wires) ; en outre, elle occupe aussi le premier rang par les richesses scientifiques de ses grandes bibliothèques et de ses musées ; toutefois, il lui manque cette fleur de vie qui provient d’un phénomène de croissance naturelle conforme aux convenances et au génie des premiers résidants : l’aspect même de la ville annonce que les habitants y vivent en des locaux empruntés. Washington n’est point née du sol : elle est la création tout artificielle de la politique et même d’une politique néfaste qui voulait à tout prix reporter dans le Sud, en pays de grands propriétaires esclavagistes, le centre politique de la nouvelle République, situé tout d’abord à Philadelphia, au vrai lieu d’équilibre de toutes les forces qui s’étaient insurgées contre l’Angleterre. Le choix de Washington fut, avant tout, une œuvre de réaction, et c’est pour fortifier les éléments conservateurs, dictatoriaux du sud que l’on dépensa l’argent sans compter dans le remblai des marécages où s’élevèrent les palais de la cité nouvelle. Elle est d’ailleurs restée peu salubre, et les navires n’ont guère appris à suivre le chemin tortueux, obstrué de vases, que leur offre l’estuaire du Potomac. Toute la politique des États-Unis a gauchi par le fait de ce déplacement du centre naturel de gravité.

Au sud de Washington, la ligne droite, si rigoureusement tracée de