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territoire d’outre-mississippi

l’immense édifice avec ses arêtes parallèles et ses vastes plaines arides, il ne peut y avoir que des villes-oasis, dans les rares vallées irrigables, et des groupements urbains, plus ou moins temporaires, provenant de l’exploitation des mines et délaissés aussitôt que les veines de la roche ont été nettoyées de leur métal. Puis de l’autre côté des monts, avec l’étroite zone de campagnes qui borde le Pacifique, se montre de nouveau un collier de grandes villes se succédant au nord et au sud de la cité dominatrice, la belle Friscoe — San-Francisco — qui prétend devoir commander un jour à tous les rivages de l’amphithéâtre océanique se déroulant à l’occident jusqu’à la Chine, à l’Australie et aux Indes.

Cette immensité mondiale de la République nord-américaine, ce géant qui étend les bras d’un côté sur l’Atlantique, de l’autre sur le Pacifique, n’a pris forme et vie dans l’ensemble des nations que depuis un petit nombre de décades. Un peuple nouveau a surgi soudain parmi les autres peuples, et de tous le plus puissant. Mais c’est par déplacement, par importation de l’Ancien Monde, que cette prodigieuse transformation s’est accomplie : on doit y voir avant tout un phénomène de l’histoire d’Europe, dont le domaine, trop étroit, a dû s’agrandir par delà les mers. Quant aux habitants primitifs de l’Amérique, ils n’ont eu dans l’évolution de laquelle est sortie la république fédérée qu’un rôle absolument passif : comme dans les cérémonies antiques, ils furent les victimes sacrifiées devant l’autel. Un régime économique tout différent donnait au même milieu des influences contradictoires : le chasseur ne pouvait vivre à côté de l’agriculteur, ou du moins, il ne pouvait vivre que là où l’agriculteur nouveau venu n’était pas un pur barbare en dépit de la Bible et de ses lois écrites. Les Indiens pêcheurs changeaient peu de résidence, de même ceux qui cultivaient déjà le sol, et c’est avec eux que les colons européens eurent leurs premiers conflits ; mais la plupart des Indiens étaient à demi nomades, grâce à leur vie de chasseurs, et ils purent fuir de solitude en solitude. Les déplacements avaient été de tous temps nombreux et rapides chez les tribus indigènes et, parfois, il suffisait de peu d’années pour que les forêts, les rivières, des espaces immenses séparassent l’ancien et le nouveau campement. Ainsi les Sioux, les « Ennemis » par excellence des Algonquins[1], ceux que l’on disait

  1. W. J. Mac Gee, The Siouan Indians, from the fifteenth annual Report of the Bureau of Ethnology, 1897, p. 158.