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l’homme et la terre. — le nouveau monde et l’océanie

peake, une centaine d’étudiants sont des Indiens Peaux-Rouges appartenant, pour la plupart, à des tribus encore errantes du Grand-Ouest, et certes, c’est un des spectacles les plus beaux que l’on puisse voir que celui de ces jeunes hommes fins, énergiques, un peu tristes, qui étudient avec tant de sérieux et de tranquille compréhension, et qui, dans leur démarche et leur conversation, témoignent d’un si noble respect d’eux-mêmes.

En Afrique, en Océanie, certaines peuplades qui se sentent condamnées se laissent aller au destin sans essayer de réagir. Ce n’est pas le cas des Indiens d’Amérique. Ils veulent vivre, et certainement ils ne périront point, quoique, à l’exemple de toutes les autres nationalités représentées dans l’immense creuset de la multitude américaine, leur sort inévitable est de se fondre dans l’ensemble de la nation. Même au point de vue du nombre, ils résistent aux causes de dépérissement : les chiffres officiels publiés tous les dix ans par le recensement des États-Unis, et qui donnent pour l’année 1900 un total de 237 224 Indiens, n’ont aucune valeur à cet égard, car ils comptent seulement les indigènes encore groupés en forme de tribus, et l’évolution générale qui les entraîne consiste précisément à les désagréger et à les perdre comme citoyens dans la foule des autres Américains, puisque, de race ou déjà métissés, ils cessent d’être comptés comme Indiens, ce qui ne change rien à leur véritable origine. D’ailleurs, le sang des Peaux-Rouges étant considéré comme « noble » d’après les conventions sociales, sans doute parce que les aborigènes ont refusé de travailler pour les blancs et que le fouet n’a pu les y forcer, les mariages d’hommes de souche européenne et de filles indiennes sont tenus pour honorables et sont assez fréquents dans les États de l’Ouest. C’est par milliers que l’on pourrait énumérer les bois brûlés ou métis descendant de voyageurs canadiens français du dix-huitième siècle, domiciliés parmi les Indiens des tribus occidentales. Parfois même, le mélange des sangs entre blancs et indiennes s’est fait d’une manière systématique. Les Choctaws (Chactas) ayant encore conservé une certaine étendue de terres, malgré les actes de spoliation édictés par le Congrès, les blancs des alentours cherchaient naturellement à s’emparer de ces domaines et, légalement, ils ne pouvaient y réussir que par le mariage avec des filles choctaws. En effet, d’après la loi du pays, tout blanc qui épousait une Choctaws recevait en dot 55 acres (23 hectares) de bonne terre ainsi qu’une certaine somme versée