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Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome VI, Librairie universelle, 1905.djvu/142

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l’homme et la terre. — le nouveau monde et l’océanie

gnols, les Basques, les Italiens, les Français sont vraiment chez eux dans les campagnes platéennes. C’est même à cet afflux de colons européens, surtout méditerranéens, que Buenos-Aires doit d’être devenue le plus grand centre de population dans toute l’Amérique du Sud.

Aussi longtemps que des considérations politiques d’un égoïsme étroit et d’un manque absolu de portée dirigeaient les gouvernements de l’Espagne et du Portugal, ne laissant aucune initiative locale à leurs possessions d’outre-mer, les villes du Nouveau Monde n’occupaient pas leur position vraie, déterminée par l’initiative spontanée des populations : quoique situées en Amérique, elles n’étaient qu’à demi des cités américaines. Ainsi, la ville de Potosi, placée trop haut sur les montagnes pour que les familles pussent s’y perpétuer spontanément, était avant tout une création du fisc espagnol. Si les Castillans mineurs n’avaient pas eu, pour satisfaire leur soif de l’or, le droit funeste de disposer des populations asservies et de les mener de force sur ces âpres sommets, jamais grande agglomération d’êtres humains n’aurait pu se former en pareil endroit. Cerro de Pasco, d’autres villes minières durent aussi leur origine à de semblables violences faites aux nations opprimées. Même, depuis que les contrées de l’Amérique méridionale sont devenues indépendantes de l’Espagne, plusieurs villes du littoral ont été créées uniquement par les grands capitaux étrangers sans que la volonté des populations locales y fût pour quelque chose : ce furent de simples colonies industrielles du haut négoce de l’Europe et de l’Amérique. Déjà l’exploitation des îles de guano, où les agriculteurs des terres épuisées du monde civilisé trouvaient l’engrais restaurateur de leurs champs, avait fait naître sur la côte du Pérou de vastes entrepôts, devenus inutiles depuis que les îles ont été nettoyées jusqu’au roc vif de leurs derniers excréments d’oiseaux. C’est aussi pour le commerce mondial que sont nées les grandes agglomérations d’usines et d’entrepôts que sont Iquique, Antofogasta et leurs annexes du littoral, bâties sur des plages arides, jadis évitées de l’homme. Leur existence est due au voisinage des prodigieux amas de salpêtre qui font en très grande partie la richesse du Chili et qui, comme le guano, proviennent, d’après une hypothèse très probable, de déjections animales. Les régions dans lesquelles se rencontrent ces amas sont encore ou furent autrefois parcourues par des troupeaux de vigognes et de guanacos (huanacos), composés de centaines ou même de milliers d’individus. Tous les anciens voyageurs s’accordent à dire que ces bêtes