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l’homme et la terre. — le nouveau monde et l’océanie

comme s’étant alliée par sa descendance avec les Espagnols qui constituèrent l’aristocratie du pays : d’après Mac-Kenna, il n’est pas une maison noble du Chili qui ne se vante d’avoir Talagante parmi ses ancêtres[1].

Sur les bords du Rio de la Plata, la nation argentine s’est constituée de la même manière, par l’entrée des femmes indiennes dans les colonies espagnoles. La guerre et le mariage avaient le même résultat, celui de faire disparaître les tribus : les hommes étaient tués, tandis que les femmes devenaient mères d’enfants de langue espagnole. Puis, quand l’état politique se fut solidement établi, la différence entre blancs d’une part, et Puelches, Tehuclches, Patagons d’autre part, prit un tel caractère de haine que les seuls rapports furent ceux d’une lutte sans merci. Pendant les dernières décades, la guerre de pillage et d’extermination sévissait même avec tant de violence, entre les colons européens et les guerriers des diverses tribus patagones, qu’on s’était cru obligé de construire des murs de défense autour de la zone de culture, analogues aux retranchements élevés par les Romains contre les tribus germaines, daciques ou sarmates. Seulement les soldats modernes disposaient de ressources supérieures à celles des vélites anciens, et leur œuvre sanglante fut autrement rapide et décisive : elle ne dura point des siècles et se termina par la soumission complète des rares survivants indiens. Le bruit du canon, des signaux électriques groupaient immédiatement les cavaliers blancs sur les points menacés et, soit à la première attaque, soit au retour du pillage, lorsque la bande essayait de forcer de nouveau la ligne des postes et des murs avec les troupeaux capturés, elle perdait la plupart des siens, que l’on tuait ou emprisonnait.

Au milieu des habitants policés du centre continental, Espagnols, Portugais et colons des diverses nations de l’Europe, de nombreuses tribus se sont encore maintenues, avec leur langage, leur religion, leurs coutumes héréditaires ; mais de jour en jour la proportion relative entre elles et les métissés se modifie à leur détriment, soit qu’elles diminuent réellement en nombre par l’effet de la petite vérole, de la rougeole ou sarompion et autres maladies contagieuses, soit que l’assimilation graduelle les transforme en simples prolétaires comme les Européens eux-mêmes, vaincus dans le combat de la vie, ou que, plus heureux, ils

  1. A. Philipps, Globus, 25 Februar 1904.