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Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome VI, Librairie universelle, 1905.djvu/202

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l’homme et la terre. — l’état moderne

monarchiques ; même en 1870, lorsque le maintien de la forme républicaine en France fut voté dans le Parlement à une voix de majorité, il fut admis tacitement que si l’on acceptait le mot, vu la difficulté de trouver un roi, on resterait intransigeant sur le fond et que les anciennes institutions — ce que l’on appelle les bons principes — seraient respectueusement sauvegardées. C’est en effet ce qui eut lieu. La République, bonne princesse, qui ramasse péniblement l’argent dans les basses couches du peuple miséreux pour le paiement de ses fonctionnaires, la République continua religieusement de servir les honoraires de ses employés, tandis que ceux-ci, fidèles aux précédents, à la routine, à l’esprit de corps, poursuivaient leur vitupération contre le régime nouveau, grâce auquel ils faisaient belle figure dans le monde. Officiers, magistrats, prêtres, professeurs même, tenaient à honneur de trahir le gouvernement qu’ils étaient censés respecter et servir, et s’en vantaient même dans leurs discours et circulaires. Pendant cette affaire de trahison militaire — dite « affaire Dreyfus » —, qui prit un caractère épique dans l’immense tourbillonnement des passions humaines, ce fut un incident des plus curieux et des plus significatifs que celui de la consultation des élèves de Saint-Cyr, la grande Ecole militaire de la France : « Désirez-vous le changement de la forme gouvernementale ? » — « Oui », fut la réponse unanime, augmentée chez quelques-uns des élèves d’expressions violentes ou grossières. Et plus tard, quand, sous la pression d’une partie du peuple, scandalisée de voir les congrégations religieuses s’emparer peu à peu de l’enseignement en France et chercher à malaxer toutes les intelligences d’enfants pour en faire autant de petits Jésuites, le gouvernement résolut enfin de se défendre, ne vit-on pas tous les tribunaux unanimes à justifier toutes les rébellions, insultes, voies de fait des moines et de leurs amis, et condamner uniformément à des peines si légères qu’elles prouvaient l’accord des magistrats avec ceux que l’on poursuivait ? Jamais on ne vit exemple plus frappant de cette « maison divisée contre elle-même », dont parle l’Evangile. Or, « pareille maison ne peut subsister », nous dit la raison. Chaque jour nous montre quelque pierre se détachant de l’édifice.

Les révolutions, sous des formes d’ailleurs fort multiples, sont donc inévitables puisque les évolutions sont contrariées dans leur fonctionnement normal. Que les catastrophes terminales se divisent en mille petits faits, banqueroutes et suicides, rixes, grèves ou famines, ruines indus-