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parlementarisme

gains s’équilibraient dans l’ensemble, mais il devient d’autant plus grave que la vie s’accentue et que se diversifient les opinions. Seule, la Suisse s’en remet à la totalité des électeurs de l’acceptation finale ou du rejet de toute loi nouvelle.

Sauf en des cas très exceptionnels, le spectacle qu’offrent les pays lors d’une période électorale n’est point de ceux qui puissent réjouir l’homme de principes. Que le candidat ait fait personnellement violence à sa modestie, ou qu’un comité le présente, les ambitions se font jour, les manœuvres, les surenchères, les mensonges ont beau jeu, et ce n’est point le plus honnête de ceux qui se proposent aux suffrages qui a le plus de chance de réussite. Les législateurs ayant à connaître de toutes sortes de problèmes, locaux et mondiaux, financiers et éducatifs, techniques et moraux, aucune capacité spéciale ne recommande le candidat aux électeurs. L’élu pourra devoir son succès à une certaine popularité de terroir, à des qualités de bonhomie, à sa faconde oratoire, à son talent d’organisateur, mais fréquemment aussi à sa richesse, à ses relations de famille, même, grand industriel ou gros propriétaire, à la terreur qu’il inspire ; le plus souvent, il sera un homme de parti ; on ne lui demandera pas de travailler à l’outillage national, ni de faciliter les rapports entre les hommes, mais bien de combattre telle ou telle faction ; bref la composition des Chambres ne rappellera en rien celle de la nation, elle lui sera généralement inférieure en qualités morales : le politicien de carrière y domine.

Une fois nommé, le Représentant est en fait indépendant de ses électeurs ; on doit s’en remettre à lui de décider selon sa conscience dans les mille contingences de chaque jour, et s’il ne se place pas au même point de vue que ses commettants, il n’existe aucun recours contre le vote émis. Loin de tout contrôle pendant les 7, ou 9 années de son mandat, n’ignorant point l’impunité acquise à des actes délictueux, l’élu se trouve immédiatement en butte aux séductions de toute nature auxquelles le soumettent les classes dirigeantes ; le nouveau venu s’initie à la tradition législative sous la conduite des vétérans du parlementarisme, il adopte l’esprit de corps, il est sollicité par la grande industrie, les hauts fonctionnaires et, surtout, par la finance cosmopolite. Quand bien même le Parlement reste composé de gens honnêtes en majorité, il s’y développe une mentalité spéciale, toute faite de pourparlers, de compromis, de palinodies, de transactions qui ne doivent pas venir aux