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l’homme et la terre. — l’état moderne

naire gagne à cet échange d’hommes, car elle reçoit les ardents, les résolus, les jeunes d’audace et de volonté, tandis que vers le camp des anciens partis se dirigent les vaincus de la vie : ils apportent leur découragement et leur pusillanimité.

L’Etat et les divers États particuliers qui le composent ont le grand désavantage d’agir suivant un mécanisme si régulier, si lourd, qu’il leur est impossible de modifier leurs mouvements et de se faire aux choses nouvelles. Non seulement le fonctionnarisme n’aide pas au travail économique de la société, mais il lui est doublement nuisible, d’abord en gênant de toutes manières l’initiative individuelle et même en l’empêchant de naître, puis en retardant, en arrêtant, en immobilisant les travaux qui lui sont confiés. Les rouages de la machine administrative sont établis précisément en sens inverse de ceux qui fonctionnent dans un organisme industriel. Dans celui-ci on s’ingénie à diminuer le nombre des articles inutiles et à produire la plus grande somme de résultats avec le mécanisme le plus simple ; dans la hiérarchie administrative, au contraire, on s’évertue à multiplier les préposés et les subordonnés, les directeurs, contrôleurs ou inspecteurs : on rend le travail impossible à force de le compliquer. Dès qu’il se présente une affaire qui sort de la routine habituelle, l’administration est troublée comme le serait un peuple de grenouilles par la chute d’une pierre dans un marais. Tout devient prétexte à retard ou à remontrance. Un tel diffère de signer parce qu’il est jaloux d’un rival qui pourrait en tirer profit ; tel autre parce qu’il craindrait de déplaire à un supérieur ; un troisième réserve son opinion pour se donner de l’importance. Puis viennent les indifférents et les paresseux. Le temps, les accidents, les malentendus complètent l’excuse du mauvais vouloir, et finalement les dossiers disparaissent sous une couche de poussière dans le bureau de quelque chef malveillant ou paresseux. Les formalités inutiles et, dans certains cas, l’impossibilité matérielle de fournir toutes les signatures voulues arrêtent les affaires, qui s’égarent comme des colis sur la route des capitales.

Les travaux les plus urgents ne peuvent se faire parce que la force d’inertie des bureaux reste invincible. Tel est l’exemple de l’île de Ré, qui se trouve en danger d’être quelque jour coupée en deux par une tempête. Du côté de l’Océan, elle a déjà perdu une lisière de terrain, large de plusieurs kilomètres en certains endroits, et il ne reste actuellement