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Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome VI, Librairie universelle, 1905.djvu/24

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l’homme et la terre. — l’angleterre et son cortège.

Johannesburg ? De premiers torts incontestables, une invasion en pleine paix, des conspirations désavouées, un scandaleux déni de justice perpétré par les tribunaux anglais ne firent qu’exaspérer l’ardeur guerrière des « impérialistes de la plus grande Bretagne », auxquels pesait le souvenir de la défaite d’Amajuba (27 février 1881), ayant mis fin à une guerre de deux mois, et ils n’eurent de repos qu’après avoir forcé les Boers à leur poser un ultimatum depuis longtemps attendu.

Toutefois, cette guerre ne fut pas ce qu’on imaginait dans les salons politiques et les cafés-concerts ; cela dépassa la promenade militaire. Aux premiers cinquante mille Anglais, il fallut en ajouter cinquante mille autres, puis cent mille, employer toute l’armée disponible, convoyer, par des centaines de grands transports, plus de munitions, d’approvisionnements, de chevaux qu’on n’en avait jamais expédié en aucun temps, et cela même fut une nouvelle cause d’exultation et d’orgueil : jamais peuple n’avait pu remuer d’un hémisphère à l’autre tant d’hommes et de matériel avec de pareilles flottes et au prix de tant de millions et de milliards ! C’est vrai, jamais semblable effort n’avait été tenté, mais il ne le fut point impunément. La plus riche des nations avait pu se hasarder à d’aussi formidables dépenses, mais elle avait dû abandonner toutes les autres affaires, se consacrer uniquement à vaincre une résistance vraiment merveilleuse, qui, suivant le mot historique du personnage le plus en vue parmi les Boers, devait « étonner le monde ». Or, pendant ces années de lutte et d’anxiété s’étaient accomplis de grands événements — notamment la guerre de Chine —, générateurs d’autres événements considérables que les hommes d’Etat devraient prévoir et influencer d’avance, dans la direction de leurs Intérêts nationaux. C’est là ce que l’Angleterre, prise au dépourvu, n’a pu tenter de faire : elle a laissé passer, l’une après l’autre, les occasions de prononcer un mot décisif, et cette abstention forcée a eu pour résultat inévitable de priver la Grande Bretagne de son prestige, puissance toute morale qui n’est rien en soi, mais qui fait plus que doubler la véritable puissance. Que de fois, même sans bataille, la renommée glorieuse a-t-elle suffi pour remporter la victoire !

D’autres signes avant-coureurs, en Grande Bretagne même, montrèrent aux patriotes les plus obtus et les plus tenaces que l’hégémonie du monde a certainement échappé à leur gouvernement, et qu’il s’agit maintenant de veiller à ce que la nation ne soit pas distancée par quel-