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l’homme et la terre. — la culture et la propriété

et là au milieu des solitudes, et l’équilibre des républiques américaines se déplace forcément. C’est la « question du caoutchouc » qui a fait surgir la petite communauté politique d’Acre et menacé d’allumer la guerre entre les deux États voisins, Brésil et Bolivie : un déplacement des frontières, naturellement au profit de la puissance la mieux armée, a été le résultat de ces discussions, qui amèneront en outre l’ouverture de routes nouvelles à travers la forêt préandine. Et quel rôle joue dans les rapports internationaux le « caoutchouc rouge » — rouge du sang de l’indigène — brouillant la Belgique, associée malgré elle à la politique de l’Etat indépendant du Congo, avec l’Angleterre.

Une autre essence, qui donne lieu à un moindre mouvement d’affaires mais qui a cependant aussi une influence considérable sur les marchés du monde, le chinchona, présente cet étrange phénomène que l’industrie s’en est entièrement déplacée. La cascarilla, l’écorce du Pérou, ne vient plus pour l’Europe de la région des Andes. L’incurie des indigènes a été dûment punie : ayant tué tous les arbres qui leur fournissaient le précieux remède, ils n’ont plus rien à expédier désormais, et, quand ils sont malades eux-mêmes, ils sont obligés de s’adresser aux hôpitaux d’Europe, qui s’approvisionnent de quinine en diverses contrées non américaines, mais surtout à Java. C’est en 1832 que cette île reçut les premières plantes de l’espèce si insuffisamment soignée en son pays d’origine. Peu d’années après, l’Anglais Markham réussit, par d’ingénieux subterfuges, à doter l’Inde et Ceylan de la plante péruvienne, et, tandis que celle-ci disparaissait de la mère-patrie, elle se multipliait dans les jardins étrangers. Au commencement de ce siècle, on compte environ cent millions d’arbres en rapport, mais c’est Java qui fournit au monde médical la meilleure part de la récolte[1].

Jusqu’en 1868, le thé vendu en Grande Bretagne provenait presqu’exclusivement de Chine ; le thé indien, qui avait fait sa première apparition sur le marché de Londres en 1845, représentait en 1882 un tiers de la consommation anglaise. Le caféier, dont la feuille était attaquée par un champignon spécial, Hemeleia vastatrix, disparut de Ceylan, et y fut remplacé par l’arbre à thé. De 1895 à 1905, l’exportation des pays producteurs vers l’Angleterre se répartit ainsi : Ceylan 35 %, Inde (en premier lieu, la province d’Assam) 60 %, Chine 5 %. La

  1. Flahaut, Géographie, 15 mars 1904.