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l’homme et la terre. — la culture et la propriété

à coups de bambou ; ne pas faire produire le grain nourricier que la terre consentirait à donner est un crime contre tous.

A la forme première de l’appropriation — car la terre que l’on cultive en reconnaissant qu’on n’aura plus le droit de la dire sienne quand on cessera d’en féconder le sol par le travail n’est point encore une propriété —, à cette forme première succède la propriété collective. C’est déjà une limitation du droit primitif de labour appartenant à tous. On comprend en effet que les habitants d’un district voient avec déplaisir des voisins, qui, eux aussi, ont leurs campagnes, leurs domaines de champs, de prairies et de forêts, empiéter sur le territoire que par suite de la longue habitude on était accoutumé à dire « sien ». Il s’établit peu à peu, par la force des choses, une distribution des terres entre les communautés ou groupes de villageois ou de familles, analogue à la part d’activité qui se répartit physiologiquement entre les cellules. C’est un fait récemment mis en lumière par les historiens économistes que la propriété commune fut jadis le régime dominant parmi les sociétés. D’ailleurs il y a lieu de s’étonner qu’il ait fallu, pour ainsi dire, « découvrir » cet ancien état de choses, alors qu’on peut en constater encore dans tous les pays soit la durée persistante, soit du moins des vestiges nombreux. C’est que les hommes d’étude ne voyaient les institutions qu’à travers les livres en s’aidant des préceptes du droit romain. Tous ignoraient les lois les plus évidentes de la société même dont ils faisaient partie. Ainsi, le Polonais Lelewel aurait été le premier, en 1828, à signaler l’existence des propriétés communautaires, et l’ouvrage allemand de Haxthausen, qui attira l’attention des savants sur cette forme de l’exploitation du sol en commun, ne parut qu’en l’année 1847. Il fallut attendre le millésime de 1883 avant qu’un écrivain de la Transylvanie, Teutsch, démontrât que des communautés de ce genre existaient dans les pays « saxons » des Carpates[1].

Et maintenant c’est un fait de connaissance banale — tant les documents abondent — que les villages de toute la plaine magyare et les montagnes environnantes étaient entourés d’un champ commun ou « champ de partage », appelé aussi « champ de la flèche » parce que le sort se manifestait temporairement pour les copartageants par le tir d’une flèche. Au treizième siècle, la communauté des terres était

  1. Karl Taganyi, Gesehichte der Feldgemeinschaft in Ungarn, Ungarische Revue, 1895, p. 103.