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propriété collective et partages successifs

dantes des milieux et des temps. Ainsi, la Russie, qui mérite une attention toute particulière au point de vue du régime domanial, puisqu’elle est encore dans la période de transition entre la propriété collective et la propriété privée, eut certainement une forme d’organisation très différente antérieurement au servage et à la main-morte, il y a trois siècles. À cette époque, en effet, on ne retrouve aucune trace du partage périodique des terres, comme dans le mir actuel, ce qui a permis à Tchicherin et à Fustel de Coulanges d’émettre l’hypothèse que la propriété collective elle-même avait été de création seigneuriale, les propriétaires fonciers ayant trouvé bon d’égaliser les parts de leurs paysans par une répartition périodique, afin de mieux assurer leurs revenus annuels. Mais cette hypothèse a été renversée par la découverte qu’avant les temps de la répartition périodique, les terres à cultiver étaient assez vastes pour que chaque famille de paysans s’appropriât la quantité de terrain dont elle pourrait avoir besoin ; elle-même, suivant un ancien dicton, limitait son domaine par la charrue, par la faux et par la hache dans les terres de labour, les prés et les forêts. Lorsque les terres s’épuisaient, la famille en cherchait d’autres plus favorables.

Jusque pendant le dix-neuvième siècle, ce régime primitif de la libre possession du sol par les membres d’une même commune s’est maintenu en Russie ; encore en 1875, un territoire des Cosaques du Don, ne formant qu’une seule commune mais comprenant 74 stanitzi ou grands villages, se trouvait à l’état complètement indivis : chaque ménage pouvait s’en approprier tous les ans une plus ou moins grande étendue, qui lui restait allouée aussi longtemps qu’il la gardait en culture. L’accroissement de la population force les habitants à recourir au partage proportionnellement au nombre des « âmes », par village ; partout les champs labourables ont été lotis, mais non les prés ; dans plusieurs stanitzi ils restent indivis, la fauchaison se fait en commun et l’on en répartit le rendement.

On comprend comment le premier partage de la propriété communale en lots familiaux est d’ordinaire suivie périodiquement de nouveaux lotissements. L’égalité première s’étant graduellement rompue entre les familles copartageantes, une lutte s’établit entre celles qui sont le plus favorisées et celles qui se trouvent moins bien partagées ; la rupture d’équilibre augmente de plus en plus et, finalement, les mécontents font procéder par la commune à une division nouvelle, à