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l’homme et la terre. — l’angleterre et son cortège.

taient avec complaisance que la prospérité d’un peuple se mesure à la quantité de fer qu’il consomme ; mais voici que cette parole se retourne contre eux, puisqu’ils ont cessé, et de beaucoup, d’être les premiers : en 1885 leur quote-part n’était plus que de 37 %, en 1895 de 26 % en 1903 de 19 % ; la production de la fonte passant en ces trente années de treize à quarante-six millions de tonnes, la quantité sortie des hauts fourneaux anglais a péniblement augmenté d’un quart et n’atteint pas 9 000 000 de tonnes.

C’est un fait très suggestif que la nation initiatrice de la grande industrie manufacturière dans le continent d’Europe se soit laissé enliser par la routine et soit dépassée maintenant par ses rivales, en génie inventif et en applications savantes des nouveaux procédés industriels. Non seulement elle a été distancée par les Etats-Unis, qu’elle peut, à un certain point de vue, considérer comme appartenant à son type spécial de civilisation, mais on est étonné de voir que les exemples d’audace industrielle soient devenus rares dans la Grande Bretagne et partent surtout d’Allemagne, de France, de Suisse, même d’autres pays moins avancés de l’Europe. L’industrie britannique par excellence, celle qui lui permit pendant si longtemps de chanter sa propre gloire : « Britannia, rule the waves ! » cette industrie est singulièrement menacée, non pas que les plus grands constructeurs ne soient encore ceux de la Clyde et des autres chantiers britanniques, mais, si les navires sont de provenance insulaire, rien n’empêche qu’ils ne passent en des mains étrangères et, précisément, un coup de bourse qui soudain bouleversa les marchés du monde entier acheta pour le compte de l’Amérique un si grand nombre de flottes commerciales appartenant à diverses compagnies anglaises, que, malgré les mensonges du fisc et des inscriptions officielles, le premier rang pour le tonnage des navires et pour les bénéfices annuels de la navigation passa certainement pour un temps aux Etats-Unis. Bien plus, les célèbres paquebots transatlantiques attachés au port de Liverpool se virent dépassés en dimensions et en vitesse par d’autres villes flottantes construites par les Allemands ; l’Angleterre en éprouva un grand dépit, mais le fait brutal existe et les conséquences entraînant un recul relatif en sont inévitables.

Néanmoins, la Grande Bretagne reste encore la première au point de vue des « unités de combat », et la survivance des préjugés anciens gouverne les esprits avec une telle puissance que la nation anglaise