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outillage suranné des anglais

la nature et dans l’homme ! Telle a été pourtant la ténacité de cette forme d’enseignement retardataire qu’elle a été transmise par les Anglais à leurs cousins des Etats-Unis, et que là aussi, le système métrique, destiné à triompher un jour, puisqu’il facilite l’étude et les rapports entre les hommes, ne conquiert que très lentement les écoles, les bureaux et les universités.

C’est en vertu du même esprit étroitement conservateur que les Anglais restent scrupuleusement attachés aux observances de leurs églises respectives, quoique les dogmes officiels aient été de fait abandonnés partout et que l’on n’ose plus insister sur les miracles qui jadis étaient le grand argument, ni prêcher l’éternité des peines, autrefois le pivot de toute éloquence sacrée. Les statistiques faites avec un grand soin par le journal Daily News, en 1903, ont établi la proportion des fidèles, hommes et femmes, et ces tableaux prouvent que la société, prise dans son ensemble, est encore entièrement chrétienne par les formes extérieures, par la « respectabilité » qui s’attache au fait de fréquenter un lieu consacré, aux heures accoutumées. C’est la forme principale que revêt en Angleterre ce phénomène éthique si important auquel le nom de « capillarité sociale » a été donné par Arsène Dumont. C’est pour une très grosse part cette visite dominicale de l’église qui donne à la société anglaise son caractère aristocratique. L’église anglicane, héritière de l’église catholique dans le Royaume Uni, eut de tout temps un aspect féodal et fait tous ses efforts pour le garder. Aussitôt après la conquête de l’Angleterre par les Normands, les prélats auxquels on distribua les sièges épiscopaux et les riches abbayes s’installèrent en seigneurs terriens dans le pays conquis. Ils commencèrent par se bâtir de somptueux châteaux, entourés de murailles crénelées, et presque partout l’ensemble des édifices ecclésiastiques, châteaux et cathédrales, chapitres et doyennés, occupe une très vaste étendue avec cour intérieure, places, cimetières et jardins qui tiennent la ville à distance ; bourgeois et prolétaires voient de loin les tours de la cathédrale, mais jadis, il leur fallait traverser des portes à créneaux pour aller prier sous les voûtes de leurs églises. Encore à Canterbury, la cité primatiale, on n’entre dans le parvis sacré, orné de grands arbres et de fleurs, qu’après s’être glissé en des couloirs d’où l’on pouvait jeter de l’huile brûlante et du plomb fondu sur la tête des visiteurs, et c’est à l’intérieur de l’enceinte marquée par ces tours de défense que