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l’homme et la terre. — l’industrie et le commerce

sociétés humaines parallèlement à la propriété terrienne. Là où la glèbe ne se hérissait pas de bornes, de cabanes, le bateau, l’outil, n’étaient pas jalousement surveillés. A la propriété familiale de l’enclos correspondait celle des meubles, instruments et armes qui s’y trouvaient ; de même, le domaine du clan, de la tribu, de la commune comprenait ses « appartenances et dépendances » en objets de l’industrie humaine. La grande propriété comportait non seulement des champs, des prairies, des forêts, qui auraient dû servir à toute une population, elle possédait aussi des individus en qualité de clients, de serfs, d’esclaves ou de mercenaires, et la richesse de la demeure seigneuriale ajoutait aux récoltes engrangées des vases précieux, des métaux et des gemmes, des étoffes, des tapis et des tentures : l’accaparement se faisait sur tous les produits du travail humain.

Les progrès de la science, d’une part, et, de l’autre, le développement de la navigation et la construction des routes permirent à l’industrie de prendre une singulière avance sur l’agriculture. Celle-ci ne disposait que des perfectionnements réalisés en quelques grands domaines et, si vastes qu’ils fussent, si intelligemment qu’on en fit la culture, il était impossible au propriétaire d’étendre les limites de son empire et d’accroître la foule de ses clients, la nature posait des bornes à son ambition. Mais, déjà, le manufacturier des premières renaissances, dans les communes et les villes libres, en Italie, en France, en Allemagne, dans les Flandres, voyait autour de lui l’horizon s’élargir ; par l’achat des matières premières, il pouvait accroître indéfiniment les produits de ses ateliers et les expédier de marché en marché jusqu’au bout du monde connu ; par le crédit illimité, il disposait de la fortune des autres aussi bien que de la sienne propre ; commerçant non moins qu’industriel ou, du moins, associé avec l’argentier, il mobilisait par les prêts et les emprunts, par les opérations de banque toutes ces immenses propriétés qui restaient presqu’inertes entre les mains de leurs possesseurs ; enfin, il commandait aux rois et dirigeait ainsi les diplomates et les armées : il s’exerçait à l’apprentissage de son futur métier, la domination du monde.

Pourtant, la haine du nouveau en même temps que l’âpreté jalouse de la concurrence retardèrent maintes fois les acquisitions de l’industrie. Aucune découverte spéciale ne put naître sans conquérir sa place de haute lutte, sans faire encourir des persécutions à ses auteurs