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l’homme et la terre. — l’industrie et le commerce

ascendant de la grande industrie anglaise, représentée surtout par Birmingham et les cités environnantes, l’année 1873 marque l’apogée. C’est alors que l’Angleterre exporta le plus de machines et d’objets manufacturés ; il semblait que, si le travail de l’immense forge s’était arrêté brusquement, le monde eût été soudain privé de vie. Mais d’autres usines s’ouvrirent sur toute la surface du continent et des îles, de l’Argentine au Japon, et, dans ces établissements nouveaux, on ne se bornait pas à imiter les fabrications anglaises, on s’ingéniait aussi à faire mieux. Birmingham perdit successivement ses anciens marchés et c’est en grande partie pour en conquérir des nouveaux que cette ville d’industrie se fit « unioniste », de « radicale » qu’elle avait été. Tant qu’elle avait compté sur son initiative et son énergie, tant que l’ingéniosité de ses artisans, l’infinie variété de ses produits lui avaient assuré la prospérité et la richesse, elle avait ignoré ou méprisé les anciennes familles nobles et routinières vivant dans l’orgueil de leur passé : mais, quand ses négociants, devenus riches à leur tour, eurent perdu l’audace, l’esprit d’entreprise, l’amour acharné du travail, la sobriété de la vie, ils changèrent de principes et de politique ; ils s’accoutumèrent au luxe, et, élevant leurs enfants avec les fils des lords et même de façon plus prodigue, ils se laissèrent envahir par l’envie ; eux, dont les pères avaient si durement travaillé, ils voulurent, tout en dirigeant leurs maisons de commerce, imiter ceux auxquels la fortune vient en dormant.

Mais pour mener à bien les affaires en affectant le loisir du gentil homme, il faut disposer des faveurs et du monopole, posséder des lieux de marché que n’envahisse pas la concurrence, disposer en toute sécurité de l’avenir. Dès lors, plus de discours enthousiastes en faveur du libre-échange ! Plus de toasts à la fraternité humaine ! On vante désormais non plus le free trade — l’échange libre — mais le fair trade — l’échange honnête —, c’est-à-dire le trafic qui rapporte les bénéfices traditionnels ; on revendique comme un mouvement d’échanges absolument dû celui qui se fait entre la métropole — Little Britain — et le monde colonial — Greater Britain —. Mais, si vaste qu’il soit, l’ensemble des possessions britanniques est pourtant insuffisant à fournir les bénéfices désirés ; il faut d’autres domaines encore, de nouveaux lieux de consommation pour les marchandises de toute espèce. Or, comment satisfaire toutes ces ambitions, si l’on ne devient pas en même temps patriote, impérialiste, jingo, belliqueux ? On trouve