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Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome VI, Librairie universelle, 1905.djvu/371

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méconnaissance du bien public

passage. Ainsi les employés des voies ferrées américaines se sont trouvés maîtres du réseau de l’Illinois et des États voisins, mais ils laissèrent voitures et locomotives dans les remises, alors qu’il eut été si beau d’organiser de vrais trains de plaisir en des conditions nouvelles de prix et de confort, de manière à laisser de leur grève, si même ils avaient dû perdre la partie, un excellent souvenir à la population et préparer ainsi favorablement le terrain en vue des revendicatives futures. Chaque grève pourrait devenir le point de départ de tentatives pour les entreprises utiles à la communauté.

Le petit commerce suit une évolution parallèle à la petite agriculture et à la petite industrie. Il est évident que, dans l’évolution contemporaine, le trafic individuel avec ses boutiques, ses échoppes, ses caves, ses transactions effectuées en liards et en sous, est absolument condamné ; sa transformation directe en un organisme normal de la société nouvelle est impossible. Tous les petits boutiquiers donneraient donc une preuve de sagacité historique s’ils reportaient leur expérience, leur volonté, l’ensemble de leurs forces et de leurs ressources vers le socialisme revendicateur. Sans doute, quelques-uns l’ont compris, mais la plupart, élevés dans la préoccupation étroite de leurs intérêts immédiats, ne voient pas, ne veulent pas voir de quel côté vient le danger et ils se retournent rageusement contre ceux qui leur apporteraient le salut. Il est naturel que les choses se passent ainsi : le naufragé qui va s’engouffrer dans l’abîme se raccroche à un bâton flottant.

Les anciennes formes de la vente au détail disparaissent comme ont disparu celles du grand commerce d’autrefois, notamment les voyages en commun, en états itinérants. Le mot « caravane », dérivé du persan kiarvan ou kiarban, signifie primitivement « assurances d’affaires », terme qui explique suffisamment l’origine de ce déplacement collectif. L’association qui se constitue entre intéressés pour assurer le succès de l’entreprise peut chercher à se garantir contre les dangers de divers ordre : en certaines contrées, ce sont les phénomènes de la nature qu’il faut redouter, la chaleur du jour et le froid des nuits, l’aridité de la terre, le manque de sources, la difficulté des chemins, le sable, la dune ou le marais ; en d’autres pays, ce sont les pillards que l’on doit craindre et, dans ce cas, la caravane doit être aussi forte que possible, former une véritable armée, protégée par des éclaireurs, une avant-garde, des