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l’homme et la terre. — la religion et la science

tions de ce genre ne sauraient avoir de valeur que si les individus, au lieu d’être comptés en bloc par millions et par millions d’après les registres de la population civile, étaient véritablement interrogés par de compétents psychologues : ne professe une foi sincère que l’homme capable de souffrir pour elle ! Sinon, le moindre intérêt, une vanité quelconque, même la parfaite indifférence et le mépris peuvent être les causes d’un acquiescement verbal à une prétendue foi. C’est ainsi que les Tsiganes de tout pays sont censés appartenir à la religion dominante, quoiqu’ils en ignorent absolument les traditions et en négligent les cérémonies. De même en chaque nation, et malgré la forte empreinte religieuse que présente l’ensemble des individus qui la composent, la grande majorité vit en dehors de toute conviction personnelle, sans pensée, sans hypothèses relatives aux mystères de l’au delà, et se contente du fonctionnement de l’intelligence strictement indispensable aux occupations usuelles de l’existence. On est catholique ou protestant, musulman, sintoïste ou bouddhiste parce qu’il est convenu de l’être dans le pays qu’on habite. Soit par ignorance des uns, soit par nonchalance des autres, on se trouve même être désigné par une appellation religieuse qui ne vous appartient pas. C’est ainsi que les statistiques ordinaires embrassent les Japonais, les Chinois, les Annamites sous le nom générique de bouddhistes, qui ne leur convient nullement (A. Myrial).

Du moins en Angleterre, où les problèmes religieux passionnent beaucoup d’esprits, en dehors des intérêts de domination politique, l’initiative privée a-t-elle dressé soigneusement la statistique de la fréquentation moyenne des temples de tous les cultes et dans toutes les cités. Les totaux obtenus par ces énumérations précises prouvent certainement que le nombre des chrétiens, ou se disant et se croyant tels, est très considérable et constitue même la majorité de la nation, car, au tiers de la population qui fréquente les églises il faudrait ajouter les enfants, les malades, les vieillards, les mal vêtus et les mal nourris qui n’osent se présenter en un lieu auguste comme l’est un temple aux abords mystérieux et aux longs échos. Ainsi les chrétiens anglais peuvent-ils affirmer sans encourir de démenti qu’ils représentent bien la moyenne de la nation et que cette moyenne est surtout protestante ; mais la France est-elle aussi justement qualifiée de nation catholique ? Se plaçant dans une autre perspective, ne peut-on plutôt la quali-