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l’homme et la terre. — la religion et la science

monothéiste, et par conséquent le plus éloigné du brahmanisme hindou. La grande Russie, plaine immense, partiellement entourée de mers et de montagnes, a son christianisme à elle, tandis que l’Europe centrale et occidentale a d’autres formes dérivées de la même souche et différenciées en deux catégories bien distinctes, le catholicisme romain et le protestantisme. Les catholiques, plus gais, plus artistes, plus amoureux de la lumière et des sonorités, sont les gens du midi ; les protestants, plus réfléchis, plus lents, plus calculateurs, sont les gens du nord, mais avec des exceptions nombreuses qui s’expliquent historiquement pour chaque peuple par les conquêtes, les refoulements, les conflits politiques, les conditions particulières du milieu social.

Dans sa marche envahissante à travers le monde, la civilisation occidentale n’est accompagnée que d’un pas boiteux par les religions officielles des Européens, catholicisme et cultes protestants ; les peuples de toute race finissent par accepter les pratiques industrielles, de même que les explications logiques de la science apportées par les initiateurs, et s’ils n’accueillent point leur religion, c’est en réalité parce que la plupart des nouveaux venus ne la professent pas sérieusement : elle n’est pour eux qu’un hors-d’œuvre dans la vie journalière et, d’ailleurs, elle ne peut se fonder sur le raisonnement ; à chacun des mystères de la foi chrétienne, l’évangélisé pourrait répondre par un mystère païen non moins absurde, quoique tout aussi naturel au point de vue de la psychologie enfantine. Mais, en dehors des missionnaires officiels, bien rares sont les Européens qui tiennent le moins du monde à propager leur foi : ils n’apportent de sérieux que dans les affaires ; s’ils se donnent la peine de pratiquer leurs rites, c’est avec une parfaite indifférence. Quant au prosélytisme des missionnaires, il est ordinairement sans effet : ou bien, ces braves gens, car il s’agit ici des convertisseurs sincères, s’en tiennent à leurs dogmes précis, à leurs logomachies théologiques, à leurs traditions et à leur jargon d’église et, dans ce cas, ils restent absolument incompris de leurs auditeurs, accoutumés à un tout autre langage ; ou bien, ils cherchent à se faire comprendre : ils s’accommodent à la façon de penser des indigènes et finissent par leur ressembler intellectuellement et moralement : il ne leur reste de l’ancienne foi que le cadre extérieur, dans lequel ils introduisent les conceptions de leurs amis et compagnons nouveaux ; ils prêchent et ce sont eux qui se convertissent, inconsciemment du reste. A cet égard, la lecture des Annales