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Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome VI, Librairie universelle, 1905.djvu/438

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l’homme et la terre. — la religion et la science

avoir assisté, étant jeune homme, vers 1860, à l’immolation d’un mouton au solstice d’été ; c’était sur un sommet élevé au nord de l’Ecosse, et le berger qui faisait le sacrifice modulait des paroles en une langue qui n’était aucune de celles parlées en notre siècle dans le pays.

Dans les Alpes, dans la Bretagne française, des cérémonies analogues ont encore lieu, sans que le prêtre catholique y trouve à redire. Même, il accepte, dans tout l’ancien monde païen devenu chrétien de nom, le rôle de magicien, pour aller, suivi de la procession des fidèles, bénir les champs, en chasser les mauvaises herbes, la vermine, les orages, toute trace de pied fourchu. Et dans les cas graves, si Dieu et ses saints ne se montrent pas favorables, on ne craint pas d’avoir recours au Diable et à ses anges. Puisque le croyant aux puissances surnaturelles veut avant toutes choses faire exaucer ses désirs, il est juste qu’après s’être adressé inutilement à la divinité du jour, il se retourne vers le maître de la nuit. Encore en Ardennes, à la fin du xixe siècle, les jeunes gens qui craignaient de tomber au sort pratiquaient des neuvaines de nuit, en ayant bien soin de prendre à rebours le chemin de la procession ; ils faisaient aussi le signe de la croix en sens inverse. Les autres cérémonies doivent également s’accomplir en ordre renversé pour devenir des « magies ». Les choses saintes gardent leur vertu, mais en raison de la profanation qu’on leur fait subir. Le blasphème égale et vaut la prière[1] !

C’est une des erreurs les plus communes de s’imaginer que des changements religieux intimes correspondent aux changements de noms subis par des cultes successifs. Souvent les formes des amulettes et autres objets de piété ne se modifient même pas. Les formules identiques se marmottent toujours en la même langue sacrée, les lieux de pèlerinages se maintiennent aux mêmes endroits, les cérémonies se célèbrent pour les mêmes vœux ou les mêmes genres de guérison, la civilisation coutumière n’a pas changé d’un geste, et cependant les individus, naguère classés comme païens, sont maintenant rangés parmi les chrétiens ; on les disait bouddhistes, ils deviennent sivaïtes ou mahométans. Même lorsque de nouveaux symboles ont remplacé les anciens, quand on s’est fait entrer dans la mémoire des signes magiques ou des mots

  1. Marie de Villermont. Revue Mauve, 1899.