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l’homme et la terre. — l’angleterre et son cortège.

travail des mines, le problème des races se présente en toute sa gravité et l’autonomie des deux colonies du Cap et de Natal y est accompagnée de dangers spéciaux. Dans l’immense territoire qui s’étend du Cap au bassin du Zambèze, le nombre des blancs n’atteint pas douze cent mille et ils appartiennent à deux races que séparent plusieurs siècles d’évolution divergente et le souvenir de cent années de luttes et de torts réciproques : d’un côté, les descendants des colons hollandais, Afrikanders et Boers, de l’autre, les Anglais et Écossais d’immigration récente. Les uns sont campagnards, fermiers et agriculteurs, les autres, attirés par les gîtes d’or et de diamants, sont mineurs, industriels, commerçants et bâtisseurs de villes ; aucune sympathie commune — sauf la haine des noirs — ne rapproche ces travailleurs entremêlés de par les nécessités de la vie. A côté de ce million d’hommes, formant deux populations de même importance numérique, vivent cinq ou six millions de nègres, Bantous intelligents, qui ont appris de visu la force et la faiblesse de leurs dominateurs. Comment l’idée de l’ « éthiopianisme », l’Afrique aux races indigènes, ne se développerait-elle pas chez eux ? Ce rêve, né parmi les noirs des Etats-Unis, est insensé pour le moment, mais, sous des formes nouvelles, les générations à venir en entendront certainement parler. D’autre part, quelle tentation pour les blancs, qui possèdent aujourd’hui la force, d’exploiter et de massacrer à loisir ces Cafres abhorrés ! Une trop grande initiative laissée aux colons de l’Afrique australe ne manquerait pas de provoquer des injustices plus graves que celles dont les Anglais se sont rendus coupables envers les Boers. En fait, le gouvernement de la Grande Bretagne est obligé d’entretenir encore une partie considérable de son armée en Afrique pour surveiller les Boers vaincus, les Afrikanders à velléités d’indépendance, les Cafres opprimés, et assurer la « paix britannique », même en dépit de ses compatriotes. Ces colonies sud-africaines ne représentent donc pas pour l’Angleterre un accroissement de force, plutôt menacent-elles de devenir une nouvelle et lointaine Irlande.

Prises dans leur ensemble, les vraies colonies britanniques, c’est-à-dire les contrées de la Terre où se sont établies à demeure et en maîtresses des populations d’origine et de langue anglaise, ne représentent point par le nombre des individus une part aussi considérable du monde que pourrait le faire supposer l’attention qu’on leur donne dans l’histoire contemporaine ; ces colonies ne dépassent guère douze