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l’homme et la terre. — la religion et la science

l’histoire des sectes russes, chrétiennes ou juives est pleine d’enseignements. On peut se demander du reste si telles atrocités commises dans les révolutions purement politiques ne proviennent pas du vieux fonds autoritaire des religions antiques ; quels crimes ne peut-on commettre au nom de Dieu ?

Par essence même, les religions, y compris le catholicisme que l’on dit « souple » parce qu’il s’évertue à l’assouplissement des caractères, par essence, les religions sont retardataires dans leur évolution. Alourdies par leur énorme bagage de survivances des temps immémoriaux, obligées de s’en tenir aux anciennes formules pour justifier leur prétention à l’infaillibilité, se laissant toujours devancer par les conquêtes de la science, elles sont fatalement vouées à combattre tout d’abord ce que, cent ans plus tard, elles seront forcées d’admettre tacitement ou même de prêcher. Les religions forment si bien l’arrière-garde des nations modernes qu’elle refusent même d’accepter les situations nouvelles qui pourraient leur être utile. C’est ainsi que la Papauté, mise en demeure par les pouvoirs civils de redevenir une puissance purement spirituelle, n’a pas voulu comprendre combien il lui serait avantageux d’échapper désormais à ses compromis indignes avec les Etats, en abdiquant traitements et privilèges, tout en disposant plus que jamais de la majesté divine aux yeux des fidèles (1905). Cette héroïque intransigeance fut à peine indiquée par quelques attitudes passagères, par quelques paroles que le vent emporta, et les pontifes continuèrent de marchander piteusement ce qui leur restait de pouvoir temporel, de maintenir leurs fructueux concordats avec les divers gouvernements, de se gérer enfin en princes et en capitalistes, tout en se prétendant « prisonniers ».

Le maintien des privilèges s’allie si bien avec le maintien des vieux dogmes que, d’instinct, tous ceux que menacent les progrès de la raison dans les mouvements populaires vont se mettre à l’abri dans les cohortes religieuses. Même ceux qui hier bafouaient les prêtres viennent les invoquer aujourd’hui. D’ailleurs ce christianisme de la bourgeoisie moderne n’est point hypocrisie pure : quand une classe est pénétrée des sentiments de sa disparition inévitable et prochaine, quand elle frissonne déjà des approches de la mort, elle se rejette désespérée vers quelque divinité salvatrice, vers un fétiche, vers un rameau bénit ; le premier sorcier venu qui lui prêche le salut ou la rédemption l’attire pour un