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l’homme et la terre. — éducation

de la Terre ; j’ai parcouru cent dix années de vie avec la faveur du roi et l’approbation des anciens, en remplissant mon devoir envers le roi dans le lien de sa grâce. » C’est exactement la même morale que reproduisit plus tard le commandement mis par Moïse dans la bouche de Dieu : « Honore ton père et ta mère, afin que tes jours soient prolongés sur la terre que l’Éternel ton Dieu te donne »[1].

La durée tenace des préjugés, qui mène à confondre volontiers les relations affectueuses de la famille avec les prétendus devoirs de sévérité d’une part et de stricte obéissance d’autre part, trouble la netteté du jugement relativement à la direction des écoles. Si la liberté doit être complète pour chaque homme en particulier, il peut sembler au premier abord que les parents sont parfaitement libres de départir à leurs enfants l’éducation traditionnelle d’asservissement et d’émasculation. Mais il ne s’ensuit pas de la liberté du père qu’il puisse attenter à la liberté du fils. Autant demander pour le bourreau la liberté professionnelle de couper des têtes, pour le militaire la liberté de jouer de sa baïonnette à travers Chinois ou ouvriers en grève, pour le magistrat la liberté d’envoyer les gens en prison au gré de son caprice. La liberté du père de famille est du même genre quand celui-ci dispose absolument de sa progéniture pour la livrer à l’Etat ou à l’Eglise : dans ce cas, il la tue, ou pis encore, il l’avilit. En son amour ignorant, il reste l’ennemi le plus funeste des siens.

Dans leurs relations sociales avec leurs semblables, les hommes libres n’ont donc nullement pour devoir d’admettre dans le père un propriétaire légitime de son fils et de sa fille, de même qu’autrefois, d’Aristote à saint Paul et des Pères de l’Eglise aux Pères de la constitution américaine, on considérait le maître comme possesseur naturel de l’esclave. Les confesseurs de la morale nouvelle ont à reconnaître l’individu libre, même dans le nouveau-né, et ils le défendent dans ses droits envers et contre tous et d’abord contre le père. Certes, dans la pratique, cette solidarité collective de l’homme de justice avec l’enfant opprimé est chose très délicate, mais elle n’en est pas moins un devoir de défense sociale : ou bien on est le champion du droit ou bien le complice du crime. En cette matière, comme dans toutes les questions morales, se pose le problème de la résistance ou de la non-résistance au

  1. Exode, chapitre XX, verset 12.