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l’homme et la terre. — éducation

trouve par contre coup allégée d’autant dans ses fonctions reproductives[1].

Après avoir été diversement enseignés et morigénés dans leurs dix ou quinze années préparatoires, les jeunes hommes, aussi bien ceux qui se sont développés librement que les malheureux habitués à marmonner des mots, appris par cœur, sous la surveillance d’un maître qui gronde et qui punit, tous ces adolescents arrivent à la période décisive où on les déclare « hommes faits ».

Chez la plupart des primitifs, les jeunes tenaient à honneur de subir de très dures épreuves pour témoigner de leur fortitude dans le péril aussi bien que de leur vigueur et de leur adresse dans les jeux et les travaux. L’initiation était fort sérieuse et durait parfois des jours entiers, même des semaines et des mois. C’étaient le plus souvent des tortures qu’il fallait supporter d’un visage souriant. Ici on exposait le corps du supplicié aux morsures des fourmis, aux blessures par le poignard ou le couteau, à la scarification par des herbes vénéneuses ; ailleurs, on arrachait à la jeune fille partie de sa chevelure, cheveu à cheveu, on battait le jeune héros jusqu’à le laisser sans connaissance sur le sol, ou bien on le jetait dans une ivresse frénétique par quelque boisson vénéneuse. Souvent les cérémonies étaient accompagnées de pratiques religieuses, telles la circoncision, et dans ces occasions, la vue du sang entraînait les officiants à des actes de vraie férocité. En nombre de peuplades, les épreuves des jeunes hommes coïncidaient avec des expéditions de guerre ; de même que chez les nations de l’Europe, le droit à la virilité devait s’acquérir par les luttes corps à corps et les tueries. On sait que les Dayak coupe-têtes ne trouvaient de femme prête à les suivre que s’ils lui apportaient le crâne sanglant d’un homme tué dans un combat ou surpris dans une embuscade. La mise à l’épreuve du courage et de l’endurance se faisait fréquemment comme préliminaire du mariage, par exemple chez les Koriak du Kamtchatka, qui recevaient le fiancé à grands coups de bâton. S’il endurait la bastonnade sans se plaindre et d’un air satisfait, on reconnaissait en lui un vaillant, capable de supporter avec la patience voulue les chagrins de la vie et on le laissait pénétrer dans la hutte où l’attendait la fiancée[2].

Les examens et les concours des grandes écoles ne sont autre chose qu’une transformation des anciennes épreuves, mais en réalité, et toutes

  1. Léopold Bresson, Les Trois Evolutions, p. 57.
  2. A. S. Bickmore, American Journal of Science, may 1868, p. 12.